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la composition de la Chambre des Lords, lui donnerait de la force ; ils exigent qu’elle reste ce qu’elle est, qu’elle devienne même de plus en plus faible et qu’on se contente de lui enlever ses pouvoirs. En réalité, ils ne veulent qu’une Chambre, une Convention. Dès lors, personne ne doute qu’on aboutira vite à une nouvelle dissolution. C’est une extrémité que, au fond, tout le monde voudrait éviter, parce que les élections coûtent fort cher en Angleterre et qu’en faire deux dans l’espace de quelques mois serait une opération ruineuse ; mais il y a des fatalités plus fortes que tous les désirs, que toutes les résolutions même, et il est à craindre qu’on ne soit sous l’empire d’une fatalité de ce genre.

Les impressions de la première séance ont été très confuses : toutes les fractions de la majorité étaient mécontentes. Dans la seconde séance, les esprits se sont un peu calmés et ressaisis, mais sans qu’on puisse encore prévoir ce qui arrivera par la suite. Les Irlandais ont réfléchi ; ils ont compris que, s’ils renversaient brutalement le ministère, ils auraient cassé le seul instrument qu’ils puissent tourner au profit de leur cause. Ils se sont réunis hors séance, et ont livré à la publicité l’ordre du jour suivant, voté, dit-on, à la majorité : « Considérant la grande importance de la lutte constitutionnelle engagée entre les deux Chambres et convaincu que le Parlement, suivant la ligne de conduite qui lui a été tracée par les dernières élections, doit s’occuper immédiatement de limiter le veto de la Chambre des Lords relativement aux lois de progrès, le parti irlandais décide de ne pas compliquer cette grande réforme par voie d’amendement à l’adresse en réponse au discours du Roi, ou en soumettant des projets particuliers. » Les Irlandais s’abstiennent donc, ils attendent. Ils l’ont fait au premier vote qui a été émis sur la question du libre-échange et de la protection, et leur abstention a réduit le gouvernement à une majorité d’une trentaine de voix. Cette attitude est prudente de leur part, et ne les engage à rien. M. Winston Churchill en a profité pour plaider habilement la cause du ministère. — Ce serait, a-t-il dit, une faute irréparable, un coup mortel de ne pas voter le budget. Le gouvernement a fait connaître ses intentions : elles ne sont pas douteuses ; mais il faut, pour qu’il les réalise, lui donner le temps de préparer le terrain, de fortifier sa majorité, de s’assurer de sa propre force : il la puisera dans la majorité si elle lui reste fidèle, c’est-à-dire si elle vote l’adresse et les crédits. — Elle les votera sans doute, mais il est curieux de penser, et une pareille constatation ne va pas sans quelque ironie, qu’au début de la session, le budget de M. Lloyd George est plus sûr d’être voté par les Lords que par les Communes.