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UN SIÈCLE D’ART FRANÇAIS À BERLIN.

habile, souple, savant, laborieux et fécond. Avec ses deux beaux-frères, les Dubuisson, peintres de fleurs, il fut longtemps à peu près le seul artiste du Brandebourg. Et, quoique sans génie, il n’était nullement au-dessous de son rôle. Il était propre à tous les genres. Son portrait par lui-même figure à l’Exposition. C’est une grosse face réjouie et luisante, pleine de bonhomie et de rondeur, avec un sourire de contentement épanoui sur les lèvres. Tout n’était pas rose pourtant pour le peintre du roi de Prusse. Deux ans après son arrivée, Frédéric-Guillaume Ier s’élevait au trône. C’était ce prince légendaire qui n’avait qu’une passion au monde : celle des grenadiers. Encourager les arts était le cadet de ses soucis. Cependant le terrible sire faisait une exception en faveur de la peinture. Lui, que mettait hors de lui l’idée d’avoir un fils rimeur et joueur de flûte, barbouillait à ses momens perdus. C’était sa façon de passer les attaques de sa goutte ou les crises d’hydropisie qui le suppliciaient. Il signait : Federicus fecit in tormentis. Quelquefois, il s’assoupissait devant son chevalet, et la brosse faisait sur la toile une lourde balafre. À son réveil, malheur à qui lui tombait sous la main ! On savait ce que pesait la canne du roi-sergent.

Ce forcené entre autres manies avait celle du portrait. Il aimait à donner le sien et à recevoir celui des autres. Il payait peu son peintre, mais il ne lui refusait pas l’ouvrage. Pesne fit ainsi à la longue les portraits de toute la cour. Comme il continua jusqu’à son dernier jour, en 1757, la collection de ses ouvrages formerait une galerie de toute la société prussienne jusqu’à la guerre de Sept ans. M. Paul Seidel, le savant historien des arts au temps de Frédéric, en médite, si je suis bien informé, une exposition d’ensemble. Ce sera très curieux. On y verra toute la famille de Frédéric, et ses amis, Jordan, Chazot, Keyserlinck, La Mettrie, Knobelsdorff, ses actrices et ses danseuses, la Reggiana, les sœurs Cochois, Mme Denis et cette étrange Barberina, dont M. de Wyzewa contait ici même l’autre jour la décevante histoire. Pour cette fois, nous avons dû nous contenter à moins. On ne nous a montré que deux portraits de Frédéric. Le premier le représente âgé de trois ou quatre ans. Il est en jupes, avec le grand cordon et la plaque de l’Aigle noir. Il bat la charge sur un petit tambour et brandit sa baguette avec une mine d’autorité. Près de lui sa sœur Wilhelmine prend des