Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/193

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
187
LA TRANSFORMATION DE LA CHINE.

crainte respectueuse. » Le même décret prescrivit aux vice-rois et gouverneurs de province d’envoyer à Pékin deux exemplaires de chaque numéro de journal, afin que ce qu’ils relateraient sur les affaires administratives fût soumis, à l’occasion, à la lecture de l’Empereur. Mais c’est surtout dans le domaine de l’instruction publique qu’eurent lieu les modifications. En quatre mois, une Université fut créée à Pékin avec mission d’enseigner les sciences européennes ; d’autres établissemens du même genre furent projetés en province ; des écoles supérieures de mines, des instituts agronomiques, des Facultés de médecine s’ouvrirent. Par-dessus tout fut commencée la grande réforme des examens, cette pierre angulaire de toute l’organisation administrative chinoise. Kang-You-Wéï ne crut pas, par prudence, devoir les supprimer tout d’abord, mais il réalisa une amélioration notable en faisant décider qu’on tiendrait compte plutôt du fond que de la forme et qu’on n’y donnerait plus place à la fastidieuse amplification. En même temps, d’autres réformes ou moins utiles ou puériles portèrent sur la modification du vêtement, sur la coupe de la natte de cheveux, sur la suppression des formules de politesse. Trois cents complets européens que l’Empereur fit acheter furent introduits au palais et il fut convenu qu’à un jour fixé l’Empereur convoquerait tous les princes, tous les ministres, leur ordonnerait de se faire couper la natte immédiatement et d’endosser les habits européens sous peine de mort. L’émoi fut grand à la Cour ; on trouva que l’Empereur et Kang-You-Wéï allaient trop vite et trop loin ; une révolution de palais eut lieu. Quelques jours avant la date fixée pour le changement de costume, l’impératrice Tseu-Hsi reprit le pouvoir, et, sous prétexte que l’Empereur était malade et incapable de tenir en mains les destinées de l’Empire, on l’enferma dans une île du Palais, l’île de In-Taï. Kang-You-Wéï n’eut que le temps de s’enfuir pour échapper à la mort.

Maîtresse de la situation, l’impératrice Tseu-Hsi n’en suivit pas moins la voie dans laquelle on s’était engagé. Sans doute, tous les décrets rendus sous l’influence éphémère de Kang-You-Wéï furent annulés d’un seul coup ; la liberté de la presse notamment fut supprimée ; mais tout ce qui était le plus important dans son œuvre fut maintenu. L’Université de Pékin fut conservée, la construction des chemins de fer activée, et l’instruction des troupes européennes plus largement répandue. Sur