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provoquer le déchaînement d’inondations qui n’avaient point lieu auparavant. Sur les flancs des montagnes, le déboisement a maintes fois déterminé l’installation du régime torrentiel en supprimant les obstacles matériels que les arbres opposaient à l’écoulement trop rapide des eaux. « Si les plateaux situés de chaque côté du Milleron (affluent du Loing), dit A. Becquerel, eussent été boisés, les 22 et 23 septembre 1866, il serait tombé sur le sol les six dixièmes de l’eau qu’il a reçue ; cette eau eût été arrêtée continuellement dans sa marche par mille obstacles, et l’inondation eût été beaucoup moins forte, si elle eût eu lieu. »

Le désastre est souvent d’autant plus grave qu’il se complique de l’entraînement de la terre végétale et de la mise à nu de rochers nécessairement stériles. Cette remarque, que tout le monde a pu faire, suffit pour montrer qu’on est allé un peu vite, — parce qu’on ne voyait qu’un côté d’une question qui est très complexe, — en affirmant que le déboisement ou le boisement des terrains imperméables n’a pas grande importance, parce que, pendant le ruissellement, les végétaux n’ont pas le temps d’absorber l’eau qui tombe. On a oublié que, dans ce cas, ils agissent simplement comme le feraient des piquets enfoncés dans la terre végétale et la clouant pour ainsi dire au sous-sol. En outre, des faits indiscutables démontrent que le développement de la végétation est un obstacle opposé à l’exubérance des rivières. D’après les calculs de M. Houiller, le débit de la Somme est tombé, dans le cours du XIXe siècle, de 35 mètres cubes par seconde à 27, bien que le régime des pluies se soit maintenu sans variation. La cause d’un changement si manifeste est tout entière dans le grand développement des cultures intensives : il y a cent ans, la surface du sol était en majeure partie abandonnée à la jachère qui consommait peu d’eau ; l’humidité absorbée par le supplément de rendement agricole correspond presque exactement à la réduction observée.

Un autre exemple de l’efficacité de la végétation comme antagoniste des crues nous vient, par l’intermédiaire de M. Gunisset-Carnot qui l’a relaté dans La Nature, de la gracieuse rivière bourguignonne qui baigne Semur et Tonnerre et qu’on appelle l’Armançon. À mesure que la culture des céréales, de moins en moins rémunératrice, a été remplacée par les grasses prairies et que l’élevage est de plus en plus florissant, le régime de ce cours d’eau a subi une profonde