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REVUE DES DEUX MONDES.

I

En présence de l’événement, on a presque oublié qu’il se soit jamais produit, sauf pour trois crues exceptionnelles. Il importe cependant de se rendre compte que Paris est en réalité exposé d’une manière permanente au retour de semblables calamités, et, avant d’en rechercher les causes, il sera fort utile d’appeler ici le témoignage de l’histoire.

La Collection des Mémoires relatifs à l’Histoire de France (Collection Guizot) contient ce passage de Grégoire de Tours : « La huitième année du roi Childebert (583), au mois de février, les eaux de la Seine et de la Marne grossirent au-delà de la coutume et beaucoup de bateaux périrent entre la Cité et la basilique de Saint-Laurent. »

Sur l’emplacement de cette basilique de Saint-Laurent, les antiquaires ne sont pas d’accord. Il est peu vraisemblable qu’il s’agisse d’une église située, comme celle qui porte actuellement le même nom, dans le faubourg Saint-Martin, et qui semble vraiment hors des atteintes de la Seine, même par les plus forts débordemens que l’on puisse concevoir.

Les anciennes chroniques citent des inondations dans les années 820, 821, 854. On promenait alors la châsse de Sainte-Geneviève, pour que la bonne patronne défendît la cité contre les élémens, comme elle l’avait défendue contre les Huns, et cette coutume persista jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. En février 886, le fleuve débordé se fit l’auxiliaire des Parisiens assiégés par les Normands. « Tout à coup, dit le poète Abdon (Collection Guizot, t. VI), pendant le silence de la nuit, le milieu du pont s’écroule entraîné par le courroux des ondes furieuses, qui s’enflent et débordent. La Seine, en effet, avait étendu de tous côtés les limites de son humide empire et couvrait les vastes plaines des débris du pont, qui, du côté du midi, ne portait que sur un point où le fleuve s’abîme dans un gouffre. Il n’en fut pas de même de la citadelle qui, bâtie sur une terre appartenant au bienheureux saint Germain, resta debout sur ses fondemens. » L’inondation et le siège se prolongèrent, car, parlant de ce qui se passait en mars, le poète dit : « La Seine, nous prêtant son secours, enfle ses ondes, engloutit au fond de ses abîmes ces malheureux et les fait descendre dans l’Averne. »