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LA MORT DE TALLEYRAND.

M. de Talleyrand ce que l’Église demandait de lui et la réparation qu’il lui devait pour le serment à la constitution civile du clergé, le sacre de l’évêque Gobel et le scandale de son mariage. « Mais j’étais libre, remarqua sur ce dernier point M. de Talleyrand ; le bref de Pie VII m’avait délié de mes vœux de prêtre et d’évêque. » Elle lui expliqua le contraire.

Tout cela fut écouté avec un sérieux et une douceur qui donnèrent dès lors de vraies espérances. M. de Talleyrand mit fin lui-même à la conversation par ces paroles décisives : « Je suis depuis longtemps dans ces pensées-là ; mais, puisque j’ai quelque chose à faire de plus, je ne dois pas tarder : je ne veux pas que jamais on attribue ce que je ferai à la faiblesse de l’âge, je le dois faire dans le mois même de mon discours à l’Académie. » Cela était formel.

Quelques jours après, je reçus la lettre suivante de M. le prince de Talleyrand lui-même : « Tous les souvenirs que vous invoquez, monsieur l’abbé, me sont en effet bien chers ; et je vous remercie d’avoir deviné la place qu’ils ont conservée dans ma pensée et dans mon cœur. — Mais, pour me faire apprécier dignement l’ouvrage que vous avez bien voulu m’envoyer par mon jeune ange gardien, il suffisait, monsieur l’abbé, qu’il vînt de vous. — J’y ai cherché tout de suite les pages dont vous parlez trop modestement, et j’y ai remarqué avec une satisfaction particulière le passage suivant : « Cet homme extraordinaire sembla apporter ici ce coup d’œil invincible qui le faisait triompher dans les batailles, lorsque, jugeant que l’impiété et l’anarchie étaient sœurs, il les fit taire toutes deux à la fois devant sa redoutable épée, etc., etc. »

« J’espère avoir bientôt, monsieur l’abbé, le plaisir de vous renouveler moi-même tous mes remerciemens et l’expression de tous mes sentimens les plus distingués. »

Ce que je vais ajouter est une circonstance bien légère ; je veux néanmoins que vous le sachiez. Il était fort simple, après y avoir répondu, que M. de Talleyrand jetât ma lettre au feu ; et je ne comptais guère jamais la revoir : il voulut cependant la conserver, et, après sa mort, on l’a retrouvée dans ses papiers, avec une note de sa main indiquant la réponse.

Ce fut peu de jours après cette lettre qu’il me fit présent d’une belle Imitation elzévir. Il était, à ce qu’on m’a dit, fort curieux de ces anciennes éditions ; il aimait d’ailleurs beaucoup cet