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Cette recommandation était significative et faisait essentiellement pressentir un résultat. Mme la duchesse de Dino lut ma lettre tout haut à M. de Talleyrand : il écouta cette lecture paisiblement, sans émotion apparente ; et même, vers la fin de la lettre, Mme de Dino ayant peine à contenir la sienne : « Achevez donc cette lettre, lui dit-il avec une certaine brusquerie ; il ne s’agit pas de s’attendrir… Tout cela est sérieux… » Puis, la lettre achevée jusqu’au bout, après quelques momens de réflexion et de silence, il dit brusquement à Mme de Dino : « Si je tombais sérieusement malade, je demanderais un prêtre. Pensez-vous que l’abbé Dupanloup viendrait avec plaisir ? — Je n’en doute pas, répondit Mme la duchesse de Dino ; mais, pour qu’il pût vous être utile, il faudrait que vous fussiez rentré dans l’ordre commun dont vous êtes malheureusement sorti. — Oui, oui, reprit-il, j’ai quelque chose à faire vis-à-vis de Rome, je le sais ; il y a même assez longtemps que j’y songe. — Et depuis quand ? lui demanda Mme de Dino, fort surprise de cette révélation inattendue. — Depuis la dernière visite de l’archevêque de Bourges à Valençay ; et depuis encore, lorsque l’abbé Taury y est venu… Je me suis demandé alors pourquoi l’archevêque, qui était là plus directement mon pasteur, ne me provoquait pas ; pourquoi ce bon sulpicien ne me parlait de rien. » Mme la duchesse de Dino lui prit les mains et, se plaçant devant lui, les larmes aux yeux, lui dit : « Mais pourquoi attendre une provocation ? Pourquoi ne pas faire spontanément, librement, généreusement, la démarche la plus honorable pour vous-même, la plus consolante pour l’Église et pour les honnêtes gens ? Vous trouveriez Rome bien disposée, je le sais… Mgr l’archevêque de Paris vous est fort attaché ; essayez. — Je ne le refuse pas, répondit-il. J’ai quelque chose à faire, je le sens bien… Mais savez-vous ce qu’on veut de moi ? Pourquoi ne me le dit-on pas ? — Eh bien ! monsieur, voulez-vous que je vous le dise ? Je vous le dirai si vous voulez, reprit Mme la duchesse de Dino. — Dites, j’en serai fort aise. — Permettez-vous que je ferme votre porte, afin qu’on ne nous dérange pas ? — Oui, fermez ; je le veux bien. » Mme la duchesse de Dino ferma la porte de l’appartement, et, demeurée seule avec M. de Talleyrand, entrant dans le fond de la question que Mgr l’archevêque lui avait expliquée en grand détail, aborda courageusement ce qu’il y avait dans cette question de plus pénible, de plus délicat, et dit sans détour à