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LA MORT DE TALLEYRAND.

vénérables de vos premières années ; lorsque, parmi tous les souvenirs d’une vie si traversée, les beaux jours de l’ancienne Église de France, que vous avez vus briller et aussi s’évanouir, sont vos souvenirs les plus profonds, les plus familiers et les plus chers, enfant ignoré de Saint-Sulpice, et admirateur obscur de Fénelon, je me suis senti ému et j’ai eu la confiance qu’un livre, protégé par un si grand nom, serait bien accueilli de vous.

Il le sera peut-être aussi, présenté par les mains de cette enfant, véritable ange de grâce et de piété, dont les soins, la tendresse et l’innocence entourent votre vieillesse ; sa noble simplicité, son angélique candeur vous rappellent le pieux et auguste vieillard, dont le nom et les vertus sont pour vous un héritage si cher ; homme saint et véritablement apostolique qui nous bénissait tous avec une majesté si douce, que l’Église de Paris a vu vieillir dans la longue et laborieuse carrière du devoir ; qu’elle a vu mourir dans la paix des justes, et dont la mémoire sera à jamais en bénédiction.

Lundi, 26 mars 1838.


Je n’ai pas besoin de vous dire, mon cher ami, quel était le but de cette lettre ; je venais demander à M. de Talleyrand, au nom de Fénelon, et d’un si grand exemple, au nom des sulpiciens qu’il aimait et de l’Eglise de France qu’il avait si malheureusement attristée ; enfin au nom de sa jeune nièce et du pieux cardinal de Périgord, je venais lui demander, à lui aussi, un retour qui consolerait enfin l’Eglise, réjouirait sa famille et honorerait sa mémoire. Mais j’ignorais si ma lettre atteindrait ce but ; je craignais qu’elle ne lui déplût, j’étais dans une extrême incertitude, lorsque, dès le lendemain matin, je reçus ces lignes si expressives dans leur rapidité : « Je ne veux pas perdre une minute pour vous dire, monsieur l’abbé, que votre admirable lettre a provoqué enfin cette grande conversation si attendue…, J’en espère de bons résultats et je viens en réjouir votre bon cœur. Je suis encore si émue et si épuisée que ma main tremble. »

… Mlle Pauline de Périgord avait remis elle-même mon hommage et ma lettre à M. le prince de Talleyrand, puis s’était retirée. Il demeura seul et lut cette lettre ; j’ignore l’impression qu’elle lui fit en ce moment. Seulement, quelques heures après, Mme la duchesse de Dino, descendant chez lui, le trouva seul encore et fort sérieux. « Je viens de recevoir une lettre de l’abbé Dupanloup, dit-il après quelques momens de silence. La connaissez-vous ? — Non, monsieur. — Eh bien ! lisez-la. » Mme la duchesse de Dino reçut la lettre de sa main et en commença silencieusement la lecture : « Non, lisez-la tout haut. »