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surtout à ces derniers. Si les nations ont des frontières, l’humanité n’en a pas. L’impuissance de l’homme, la petitesse de ses moyens de défense devant la nature déchaînée, ont frappé vivement les imaginations et les âmes en ont été émues. À Paris même, tout le monde a fait son devoir : on y a mis l’empressement alerte et vif qui est dans notre tempérament. Plus de divisions entre nous : un même sentiment nous a réunis. Nos soldats et nos marins ont fait merveille. Les agens de la police ont rendu des services inappréciables. La presse a ouvert des souscriptions. Les associations particulières, et notamment la Croix-Rouge, ont répandu, avec discernement, avec promptitude, les bienfaits de la charité privée. Que de souffrances en ont été allégées !

Le spectacle de Paris pendant ces jours de détresse restera dans le souvenir de tous ceux qui y ont assisté. Il est rare, heureusement, qu’on voie nos rues envahies par les eaux, les trottoirs remplacés par des passerelles improvisées et fragiles, la chaussée devenue un canal vénitien sillonné de barques, les habitans des premiers étages sortant de chez eux par leurs fenêtres pour chercher ailleurs un asile. La rapidité avec laquelle l’inondation s’est répandue a été, en effet, si grande que beaucoup de gens ont été pris tout à fait à l’improviste. On s’est demandé s’il ne fallait pas l’attribuer aux travaux qui ont percé dans tous les sens le sous-sol de Paris pour y faire passer égouts, canaux, chemins de fer, tubes, enfin tous les organes de la vie confortable et compliquée que nous menons. Qu’il y ait eu là une cause de diffusion à ajouter aux autres, rien n’est plus probable, mais il ne faut pas en exagérer l’importance. Ce n’est pas la première fois que Paris a été inondé. Il l’a été en 1658, en 1740, en 1802 : nous ne parlons pas des crises moindres qui ont eu lieu depuis. On a conservé des documens certains, des témoignages irrécusables, au sujet des dégâts qui se sont produits à ces diverses époques : les mêmes quartiers de Paris ont été envahis par les eaux alors et aujourd’hui, et ils l’ont été, à peu de chose près, dans les mêmes proportions. Le sous-sol n’était pourtant pas travaillé comme maintenant. De la nouvelle expérience que nous venons de faire se dégagent sans doute quelques leçons dont il sera tenu compte ; les quais, notamment, devront être surélevés en de certains endroits ; mais, quoi qu’on fasse, on n’empêchera pas les eaux de la Seine de s’infiltrer dans les sous-sols et d’envahir les rues, les places, les carrefours en contre-bas du fleuve. Le mieux serait de creuser en dehors de Paris des canaux de dérivation qui allégeraient la Seine d’une partie des eaux en surabondance. La question relève des ingénieurs ; nous y sommes trop incompétent