Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/952

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du mari, la séparation des deux époux a été commuée en divorce, Barberina a dû subir encore l’angoisse suprême de songer qu’une autre femme serait, depuis lors, admise à porter son nom et son titre, en concurrence avec elle.

Aussi ne vécut-elle, dès ce jour, que du désir de se délivrer du nom sans renoncer au titre : déployant au service de cette ambition nouvelle l’admirable génie d’intelligence pratique et d’obstination qui, jadis, lui avait permis de devenir baronne sous les yeux et au nez de son royal amant. Une série de lettres, publiées par ses biographes, nous initient à toutes les phases de cet autre roman, bien différent de l’ancienne aventure amoureuse avec le lord écossais. En 1789, après diverses tentatives infructueuses, la châtelaine de Barchau s’avise d’offrir au roi de Prusse, — qui est à présent Frédéric-Guillaume, — la donation perpétuelle de son château et de tous ses biens, à la condition d’être nommée supérieure d’un « institut de demoiselles nobles, » qui sera créé à Barchau, et moyennant, pour elle, l’autorisation de troquer sa baronnie contre une couronne de comtesse. Et le Roi finit par consentir à la proposition ; et Barberina obtient de s’appeler, à l’avenir, la comtesse Campanini, avec l’étrange blason qu’on a vu ; et elle-même rédige la règle de l’institut qu’elle va gouverner de sa forte main, une règle infiniment austère, à la fois, et minutieuse, interdisant aux chanoinesses la moindre visite de personnes de l’autre sexe, et spécifiant la nature de tous les repas qui leur seront servis. Barberina aurait même souhaité, sans doute afin de donner plus d’éclat à sa fondation, que la supérieure acquît le droit de s’appeler « Excellence : » mais, là-dessus, Frédéric-Guillaume regimba énergiquement. Il fit répondre à la comtesse Campanini que l’ « Excellence » ne se pouvait accorder qu’aux dames mariées ; et il ajoutait, dans sa lettre au ministre négociateur de l’affaire, qu’ « il serait par trop ridicule de gratifier de ce prédicat une ancienne danseuse. »

Barberina vécut encore dix ans, jusqu’au 7 juin 1799, sans que nous ayons aucun renseignement sur la façon dont l’ « ancienne danseuse » s’acquitta de ses fonctions de grande dame et d’abbesse. Seul, le portrait de Barchau vient projeter un peu de sa terrible lumière sur cet épilogue imprévu de la comédie.


T. DE WYZEWA.