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plus, oublié à ce point que non seulement il entretient les rapports les plus ouverts avec la susdite Barbarina, mais aurait encore l’intention de se marier avec elle. Or, j’entends signifier à ce jeune homme aussi bien qu’à la Barbarina que jamais je ne consentirai à l’accomplissement de ce mariage ; et j’ai fait insinuer, de plus, à la créature que, s’étant rendue tout à fait indigne de ma protection par sa conduite, elle ferait bien de quitter pour toujours Berlin et tout mon royaume. » Puis, devant la persistance de Coccei, ordre est donné de s’emparer de celui-ci, et de le mettre en prison, où il allait rester enfermé pendant près de deux ans.


Que se passa-t-il entre Frédéric et son infidèle maîtresse, pendant cette longue absence forcée du jeune Coccei ? Le Roi eut-il l’occasion de revoir Barberina, et de faire sa paix avec elle autour de la table d’un dernier souper ? Ou bien se rappela-t-il les quatre années de nouvelle jeunesse qu’elle lui avait procurées, ou peut-être encore, simplement, eut-il peur de la nuance de ridicule que pouvait jeter sur lui une manifestation trop prolongée de sa rancune d’amoureux délaissé ? Toujours est-il que sa conduite ultérieure, dans cette affaire, ne saurait s’expliquer sans l’hypothèse d’un étrange et complet revirement moral accompli chez ce prince qui, naguère, au moment où la ballerine refusait de venir à Berlin, avait assez montré l’invincible ténacité de ses résolutions. Car aussitôt que le jeune Coccei, enfin remis en liberté, reparut à Berlin en compagnie de Barberina et lit savoir publiquement qu’elle était désormais sa femme légitime, ce fut en vain que parens et amis du jeune homme s’ingénièrent à obtenir du Roi, non seulement la cassation du mariage, mais jusqu’au moindre signe de désapprobation. « Je suis d’avis, écrivait Frédéric, le 20 novembre 1751, que, pour ce qui concerne le mariage de la nommée Barberini avec le Coccei, il convient de laisser la chose au repos, maintenant qu’elle s’est produite et ne pourrait plus être redressée sans de nombreux inconvéniens. » — Le Roi disait : redressiret et inconvenientzen, avec sa singulière habitude de n’employer qu’un allemand où la moitié des mots étaient, ainsi, des termes français revêtus d’un léger accoutrement tudesque. — Il exigeait seulement qu’on essayât de découvrir, afin d’avoir là une occasion de sévir contre lui, le prêtre catholique qui avait célébré ce mariage secret. En réponse à un appel pathétique de son grand chancelier, qui lui citait un passage d’une de ses propres lettres qualifiant la Barberina de « personne sans aveu, » et se plaignait de l’ennui que lui causait à présent la vue d’un fils aussi déshonoré par son union