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de ne pas céder ! Et aie soin de vivre de telle manière que l’on ne puisse rien rapporter de mauvais contre toi ! Ne prends jamais tes repas en dehors de la maison, et ne reste jamais seule avec un homme, même pour un instant ! Ne reçois pas trop souvent le même homme ; sans quoi l’on dira qu’il est ton amant ! Et si tu t’aperçois que tu trouves du plaisir dans la compagnie de qui que ce soit, arrange-toi pour ne jamais le revoir ! Car si tu faisais autrement, tu serais ingrate à l’égard de celui qui t’a assez prouvé son amour infini.

Ne touche personne, et ne te laisse toucher par personne : tu sais ce que je t’ai déjà dit là-dessus ! Profite de toutes les occasions pour témoigner combien de peine ils t’ont fait en m’arrachant de tes bras chéris ! Ne te fie à personne, en dehors de mon ami, que tu apprendras sans doute à connaître ! Si tu es malade, ne permets à personne d’approcher de ton lit ! Tu as fait cela auparavant : mais, au nom de notre amour, ne le fais plus…

Mais, en vérité, je ne crains nullement que nous puissions nous oublier l’un l’autre ! Trop de liens intimes nous unissent, que ni l’éloignement ni le malheur ne sauraient déchirer. Ces liens sont plus forts qu’un mariage authentique : car ils sont lissés d’amour, d’amitié, et d’honneur. Nous sommes allés trop loin pour pouvoir jamais être entièrement séparés… Lorsque ces gens m’ont éloigné de toi, ils ont cru que bientôt nous ne penserions plus l’un à l’autre ; mais nous allons persister fermement dans notre amour ! C’est l’unique moyen de vaincre toutes les difficultés qui s’opposent à notre bonheur.

J’oubliais de te dire encore que les lettres d’amour qu’on t’écrira, il faudra qu’aussitôt tu les refermes, et les renvoies sans réponse. Crois-moi, si tu avais toujours agi ainsi, personne n’aurait pu trouver à redire sur ton compte, comme tu sais qu’on l’a fait, — bien injustement, il est vrai !

Tu vas trouver tout cela un peu confus, ce que je te dis : mais songe à la situation où je suis ! Je crois que tu es bien convaincue de ma fidélité envers toi : il faut que tu le sois, ma bien-aimée, et puis que tu comptes fortement sur ma constance. Que si j’y manquais, alors tu devrais me haïr ; ce serait la plus grande malédiction qui pourrait m’arriver !…

O, my lovely woman, ne m’oublie jamais, car tu n’appartiens qu’à moi seul ! Et, chaque jour, depuis onze heures jusqu’à midi, pense à moi très fort : ainsi nos âmes se rencontreront, car je ne pense qu’à toi, ne vois que toi sur la terre ! Oh ! suis mon conseil, et, chaque soir, demande-toi si tu as commis quelque faute ! et ne te laisse pas voir aussi souvent avec des hommes, car, en ce cas, on dira que tu ne songes plus à moi !…

Ah ! quelle pensée, quelle perspective, d’être si loin de ma femme chérie ! Bientôt la vaste mer s’étendra entre nous. O Dieu ! faut-il donc que je souffre à ce point ? Oui, il le faut, pour que je n’abandonne pas ce qu’il y a pour moi de plus cher ! Je supporterai tout ce qui pourra arriver : mais toi, de ton côté, sois aussi ferme et constante que moi ! O mon âme, pense à moi et à tout ce que je t’ai dit ! Brûle cette lettre, ne permets pas que personne la voie : mais, auparavant, note par écrit tous les conseils que je t’ai donnés ! Et maintenant adieu, my dearest, dearest wife ! Je suis à toi, sois à moi pour toujours ! Adieu, âme de mon âme, vie de ma vie, my dearest babby, farewell !

LE MALHEUREUX.