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REVUE DRAMATIQUE


PORTE-SAINT-MARTIN : Chantecler, pièce en vers en quatre actes de M. Edmond Rostand.


Chantecler est un très beau poème lyrique. Dans aucune de ses œuvres précédentes, M. Rostand ne s’était montré aussi exclusivement poète. Jusqu’ici, et même aux heures de plus complète réussite, il avait été surtout un homme de théâtre doué à un degré exceptionnel du don spécial de la scène, un virtuose du mot, un jongleur de la rime étonnamment habile. Depuis ses succès étourdissans, au lieu de se laisser aller à sa verve facile, et de courir, comme il le pouvait, à d’autres succès qui auraient été, — pour lui, — des succès faciles, il s’est recueilli. Il a compris que c’était une sorte de devoir envers lui-même. On ne saurait trop lui en faire honneur. Il a regardé la vie. Il a rêvé à son art. Il a connu la gloire et son amertume. De ce travail intérieur est résultée une inspiration nouvelle et qui vaut cette fois par sa profondeur. Je ne connais, dans tout le théâtre de M. Rostand, rien d’aussi émouvant que certains morceaux de Chantecler. Poète, noblement poète, purement poète, M. Rostand l’est ici par la conception générale de son œuvre ; il l’est en outre par toute sorte de beautés de détail qui ravissent au passage. Je m’empresse d’ajouter qu’il y a dans cette œuvre mêlée des endroits exécrables, pires que la tirade des nez dans Cyrano, et pires que certaines parties du rôle de Flambeau dans l’Aiglon. Apparemment c’est la compensation du don poétique chez M. Rostand ; c’en est la rançon. Rien ne servirait d’insister, ni de discuter, et peut-être l’auteur lui-même n’en peut mais. Seulement, on comprendra que nous n’acceptions pas Chantecler en bloc et que nous réservions notre admiration à ce qui nous en paraît