Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/925

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Ah ! tu ne presses point, toi, mon labeur ardu,
Vieille horloge des bois, des jardins et des plaines,
Toi qui sembles frémir à de vagues haleines,
Comme un cristal frôlé par quelque vol perdu !

Tu sais le beau secret des choses naturelles,
Que souvent l’homme oublie en la grande cité ;
Tu sais qu’elles ont foi dans leur sort accepté,
Que l’heure même est bonne et travaille pour elles ;

Tu sais que si la rose éclôt, si le blé croît,
C’est au gré d’une sage et féconde paresse,
Que chaque œuvre se fait à point, que rien ne presse,
Que l’homme a plus de temps ici-bas qu’il ne croit…

Ah ! viens rapprendre encore, avec tes notes lentes,
Au poète brûlé des fièvres de l’esprit,
Qu’il lui faut accorder toujours ce qu’il écrit
Au grand rythme natal des plaines et des plantes !


CRÉPUSCULE


Comme le soir était morne dans la forêt,
Devant cette clairière au silence tragique !
Parmi le jour baissant, sous le ciel léthargique,
On aurait dit soudain que le monde mourait…

Oh ! ces pins noirs qu’à peine un souffle triste évente
Et fait gémir avec ce bruit intermittent !…
En nous tombait, comme un caillou dans un étang,
Un lourd chagrin qui devenait de l’épouvante.

Il nous semblait qu’au ciel à jamais ténébreux
Nous ne verrions plus l’aube où l’horizon rougeoie,
Que c’en était fini pour nous de toute joie,
Que nous ne pourrions plus, jamais plus être heureux…