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Pâle dormeur sur les bancs froids des tristes gares,
Hôte des cabarets aux subites bagarres,
Badaud nocturne ami du cocher maraudeur ;
Et puis soudain rouleur des océans, rôdeur
Des vastes flots dont l’acre embrun te fit revivre,
Passager invisible à bord du Bateau Ivre,
Menant ton songe halluciné sous tous les cieux,
Si plein de voix que tu restais silencieux !
Ah ! tu l’as bien senti, nostalgique malade !
Le poète, d’instinct, est l’éternel nomade,
L’homme que sans répit tourmente le besoin
D’épuiser l’infini des frissons, d’aller loin,
Plus loin toujours, changeant d’âme comme de place,
Pour rafraîchir à l’inconnu sa fièvre lasse,
Et pour chercher ailleurs, ailleurs encor, là-bas,
Si par hasard tout le bonheur n’y serait pas !


HORLOGE


L’horloge d’un village avec un bruit liquide
Sonne onze heures dans l’air sensitif de la nuit,
Timidement, avec un faible et frôle bruit
Que jusqu’à moi le vent printanier porte et guide.

Ce n’est pas le son dur, précis, impérieux
Que martèlent souvent les horloges des villes,
Et qui, tombant de haut sur nos foules fébriles,
Hâte encore pour nous l’effort laborieux.

C’est un bruit qu’un écho nonchalant accompagne,
Un murmure argentin à peine cadencé,
Où l’on dirait que le silence condensé
S’égoutte à petits coups sur la tendre campagne.