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sympathique. Il est persuadé, ce qui est une pensée du cœur, comme dirait Vauvenargues, qu’il n’est aucun système qui ne soit né d’une bonne pensée et qu’on peut ramener les pires à une bonne pensée qu’il ne reste plus qu’à convaincre d’erreur partielle. Je ne sais pas si cela est toujours juste ; mais comme sentiment, c’est exquis, et comme méthode, c’est excellent. C’est excellent comme méthode, parce que cela mène tout droit à ce qu’un système contient de bon, et à le ramener au principe qu’il devrait avoir et à tirer de lui les excellentes conséquences qu’il devrait produire.

Édouard Rod excellait à ce jeu qu’il jouait de la meilleure façon du monde, c’est-à-dire sans savoir qu’il jouât. Il avait la science philosophique et l’art philosophique. L’art philosophique est un jeu, — comme sont jeux tous les arts, — qui consiste à chercher la vérité dans la science en l’y mettant et à l’y trouver parce qu’on l’y a mise ; et à ce jeu, on n’est jamais si maître que quand on s’y livre avec une presque entière candeur et qu’on ne s’aperçoit que ce fut un jeu que quand on le quitte.

J’aurais voulu que Rod se donnât plus souvent ce noble divertissement, et je voudrais maintenant qu’il nous eût laissé plus de livres philosophiques qu’il n’a fait. J’aurais voulu, et je crois le lui avoir dit, qu’il imitât de plus près celui qui évidemment fut son modèle, Victor Cherbuliez, et qu’il partageât à peu près sa vie intellectuelle entre les fictions romanesques et les études directes et immédiates de philosophie, de morale et de sociologie, pour quoi il avait les plus précises et les plus fortes aptitudes. C’était indiqué, comme disent les médecins, et, sous le personnage de philosophe, il n’aurait pas été moins bien accueilli que sous celui de romancier et novelliste.

Et je le dirai en passant, c’est un honneur pour la France d’avoir adopté si vite, avec un véritable empressement, ces deux étrangers de race, français de langue et d’esprit, et c’en est un pour la Revue où j’écris en ce moment, de les avoir non seulement accueillis, mais appelés presque à leurs premiers débuts. L’un devint Français en choisissant pour se faire tel, ce qui fut un geste exquis, le moment même de nos plus grands malheurs et en estimant que ne point, à ce moment même, prendre la France pour mère, c’était la déserter ; l’autre, sollicité bien souvent de se faire naturaliser pour entrer à l’Académie, où sa place était marquée, s’y refusa toujours, les circonstances n’étant