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à dire depuis, et pour ceux qui n’ont pas la maladie d’avoir horreur des mois anciens, tout simplement la charité.

Depuis, et ce fut la troisième phase de son évolution, sans qu’il eût jamais été systématique, il le devint encore moins, si je puis parler ainsi. Il fit des romans qui ne relevaient plus d’aucune précise orientation philosophique, mais qui ressortissaient tous à une haute pensée morale, C’est la Vie de Michel Teissier, la Seconde vie de Michel Teissier, le Ménage du pasteur Naudié, les Roches Blanches, le Silence, etc. Dans eus romans, le naturaliste » — quel mot ridicule ! disons simplement l’observateur des choses réelles, ou l’homme qui sort de soi, — reparaissait très nettement : il n’y a pas d’étude du monde protestant et du monde, très curieux, des armateurs rochelois, plus précise et exacte que le Ménage du pasteur Naudié ; — et le moraliste libre, indépendant de tout système, mais ferme en deux ou trois idées générales invariables : vie de famille, loyauté et droiture envers soi-même et envers les autres, culte de l’honneur, se développait, s’épanouissait, donnait largement et puissamment tous ses fruits.

Sans servilité, sans imitation et, je crois, sans même y songer, il revenait à son cher Jean-Jacques. Il adorait Rousseau, en bon Genevois, d’abord en homme, ensuite, qui en est, comme lecteur de Jean-Jacques, à la troisième phase. Vous n’ignorez pas, en effet, qu’il y a trois phases pour tout lecteur de Jean-Jacques, qui le relit seulement une dizaine de fois. La première phase, c’est l’admiration pour cette « imagination dominante, » c’est-à-dire maîtrisante et fascinatrice, comme dit Malebranche de Montaigne ; la seconde phase, c’est le dépit et l’hostilité, quelquefois l’horreur, à l’égard de tant de paradoxes, de tant de folies et aussi d’une vie si longtemps surchargée de fautes ; la troisième, c’est l’étonnement respectueux devant le fond même de la pensée de Rousseau, devant cette intelligence merveilleuse de la nature humaine et de la civilisation humaine et devant cet immense désir de rénovation et de régénération morale ; devant cette passion, tard venue, mais ardente, pour la simplicité, la pureté et la vertu.

Rod en était depuis très longtemps à la troisième phase, si tant est, vu sa manière de lire, qui était de lire lentement pour comprendre vite, qu’il n’eût pas commencé par la troisième. Aussi, l’âme de Rousseau et si vous croyez qu’il en eût