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Sans voir l’avenir aussi sombre, de hautes personnalités du Parlement estiment que le débarquement par surprise d’une force de 150 000 à 200 000 hommes est réalisable ; lord Roberts justifiait à la tribune cette opinion par ces paroles : « Il y a eu de tout temps dans les ports allemands le nombre de navires nécessaire pour embarquer 200 000 hommes ; 150 000 pourraient être rassemblés en quelques mois à proximité des ports d’embarquement, et cela discrètement, sans recourir aux procédés de mobilisation. Nous soutenons qu’une invasion peut se faire par surprise au moment où l’on s’y attendrait le moins. » Lord Curzon exprimait la même idée sous une autre forme : « Je voudrais être contredit si j’ai tort en disant que ce serait une chose aisée pour une certaine puissance étrangère, pourvu qu’elle puisse s’assurer le commandement de la mer sans interruption pendant 48 heures, de débarquer une force de 150 000 soldats sur nos côtes. » Les deux orateurs ont évidemment exagéré. Une armée de 150 000 hommes, qui débarquerait par surprise sur les côtes anglaises, sans déclaration de guerre préalable, trouverait immédiatement devant elle toutes les forces de la Grande-Bretagne ; l’armée régulière, à elle seule, composée d’excellentes troupes et numériquement supérieure, rejetterait facilement à la mer l’audacieux envahisseur. D’autre part, la flotte anglaise qui aurait laissé surprendre le passage, rendrait ultérieurement bien aléatoire et bien dangereux le rembarquement des troupes étrangères battues, bien problématique leur retour dans leur pays d’origine. Tenter une pareille entreprise serait courir à un désastre certain.

On a prétendu aussi que des corps d’effectif restreint, 12 000 à 15 000 hommes, débarquant simultanément sur plusieurs points des côtes britanniques, suffiraient, sinon à s’emparer des points d’appui de la flotte, du moins à les rendre inutilisables en détruisant les arsenaux, en obstruant les passes, en incendiant les docks, etc., ce qui paralyserait la marine anglaise. C’est pure fantaisie. On ne conçoit pas comment l’ennemi pourrait opérer de pareilles destructions sans être maître des ports eux-mêmes. Or, il existe en ce moment trois grands arsenaux maritimes, Plymouth, Portsmouth et Chatham (un quatrième est en voie de création à Rosyth) et trois grandes rades de concentration, Portland, Douvres et Sheerness. Tous ces points sont fortifiés. Les arsenaux sont solidement défendus sur le front de terre, comme sur le front de mer ; leur prise exigerait un siège en règle long et