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c’est la philosophie de l’esprit, cette sagesse qui, du temps de d’Urfé, se réclamait du grand nom de Platon et s’appelait le Platonisme. Or d’Urfé était un ardent platonicien. Pendant les guerres civiles, il avait été jeté successivement en prison par les royalistes comme partisan des ligueurs, et par les ligueurs comme royaliste. Et il avait trompé les longs ennuis de cette double captivité par des études philosophiques ; il ne tarda pas à s’éprendre d’une vive passion pour cette philosophie des premiers penseurs de la Renaissance qui était un amalgame bizarre de Platon et du dogme chrétien que représentaient surtout les Ficin et les Patrizzi. La trace que laissèrent ces études dans son esprit fut si profonde que je n’aurais pas de peine à citer des pages entières de l’Astrée qui sont la traduction presque littérale de quelques passages du Banquet et des lettres de Ficin. Mais que parlé-je de passages isolés ? D’Urfé n’a écrit son livre qu’à la gloire de la philosophie et de Platon, et le titre même qu’il lui a donné nous en avertit : « L’Astrée de Messire Honoré d’Urfé ou par plusieurs histoires et sous personnes de bergers et d’autres sont déduits les divers effets de l’honnête amitié. »

Cette honnête amitié, il s’en explique dans plus d’un endroit, c’est l’amour tel que l’a conçu Platon, c’est la passion ailée qui emporte les âmes dans le sein de Dieu. Ainsi donc, bergers, bergères et bergeries, disparaissez ! Le véritable héros de l’Astrée, celui qui règne parmi ces bois et ces ruisseaux, celui que nous rencontrons le front couronné de lumière sous ces sombres arceaux de verdure et sur ces gazons verdoyans, c’est Platon transformé à l’usage de la Renaissance, et la véritable intrigue du roman, c’est la lutte de la Sagesse et du Plaisir. La victoire de la Sagesse est assurée, car d’Urfé est pour elle.

Le Plaisir ! D’Urfé l’a incarné dans la personne d’un aventurier provençal qui est le plus grand jaseur de son livre. Il se nomme Hylas. Il a le cerveau chaud, la tête chauve et le poil ardent. Et quelle langue ! Elle est intarissable, et ses reparties ne manquent pas d’esprit. Cet Hylas est un franc égoïste ; il professe qu’Hylas a été mis au monde pour s’occuper du bonheur d’Hylas, et il se consacre tout entier à cette tâche, qui en vérité n’est pas facile ; car le bonheur d’Hylas consiste à désemplir chaque matin son cœur de ce qui le remplissait la veille et à renouveler la cargaison. C’est le volage, c’est l’inconstant par