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allait banqueter au Quirinal. L’adhésion discrète de Bismarck encourageait M. Visconti Venosta à transporter à Rome la capitale et à s’y faire suivre par les légations. C’est la faute du Centre, redisait Taufkirchen à Antonelli le 22 juillet 1871, et le cardinal, cette fois, répondait d’une façon catégorique « que le Vatican ne romprait pas avec cette fraction. »


Bismarck, depuis un an, avait demandé au Vatican trois services politiques ; après les deux premières demandes, la troisième à son tour échouait. Il avait tour à tour voulu que le Pape, au nom de son pouvoir spirituel que le concile avait encore rehaussé, intervînt auprès des catholiques de France, de Bavière, de toute l’Allemagne ; le Pape s’y était refusé. Alors Bismarck, après avoir chargé Brassier de Saint-Simon de faire à Pie IX roi l’affront définitif, se tourna franchement du côté des hommes qui continuaient de protester contre le Concile et qui voulaient soulever le monde contre l’autorité spirituelle de Pie IX pontife. Le même Bismarck, qui avait souhaité de ce pontife une immixtion minutieuse et dictatoriale dans des affaires d’ordre politique, allait s’aboucher avec les vieux-catholiques, qui ne permettaient même pas au Pape de régir la foi et les mœurs, et qui, bien loin de lui accorder le droit de régner sur les députés, lui refusaient le droit de régner sur les consciences. Lui qui avait importuné un pape italien, un cardinal italien, pour qu’ils s’ingérassent en Allemagne, allait bientôt dire à Frankenberg, sans croire se contredire : « Les gens du Centre font de nous des Italiens. »

Il ne projetait pas encore, à cette date, tous les détails de sa collaboration politique avec les nationaux-libéraux, et toute la série des vexations qui s abattraient sur un tiers des sujets de l’Empire, sur un tiers des anciens combattans de 1870, et qui leur donneraient un rôle de parias dans cet Empire en partie créé par eux. Mais, persuadé que le Vatican favorisait secrètement une fronde dans l’Etat, il allait commencer les représailles en demandant à une fronde d’Eglise les moyens ou les prétextes d’ennuyer et d’affaiblir l’Eglise : les nationaux-libéraux seraient aux aguets, et tout de suite, plus rapides que Bismarck, plus impatiens que Bismarck, ils en profiteraient.


GEORGES GOYAU.