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sortes de gens. » On ne pouvait avec une finesse plus exercée saisir une plus exacte nuance ; la confiance que les catholiques gardaient dans Guillaume reposait un peu sur l’esprit d’équité qu’ils lui prêtaient, mais prenait sa source, surtout, dans ce qu’ils savaient de son peu d’affection pour les nationaux-libéraux, « ces sortes de gens. »

Guillaume, comme Bismarck, croyait à Dieu et au Christ ; il n’y avait pas, entre sa foi d’homme et ses actes d’empereur responsable, cette cloison étanche, épaisse, infranchissable, que l’on constatait chez Bismarck entre le chrétien et le politique. Roi par la grâce de Dieu, Guillaume se considérait comme devant être le réalisateur des desseins de Dieu : les doctrines politiques des nationaux-libéraux devaient offusquer son idéal. Entre deux intransigeances dont l’une aurait voulu réaliser l’Etat chrétien, et l’autre l’Etat laïque, il aurait plutôt opté pour la première. Il défendait ouvertement la divinité du Christ ; un jour que Ketteler l’en avait remercié : « Je ne suis pas piétiste, lui répondait-il ; mais je sais ce que je dis et ce que je veux… » Les affinités des nationaux-libéraux avec les écoles protestantes les plus incroyantes n’étaient pas de nature à lui plaire. Assurément il retrouvait dans leurs rangs beaucoup de ses frères en franc-maçonnerie ; et c’était un franc-maçon très fidèle et très pratiquant que l’empereur Guillaume Ier. Mais dans l’ordre franc-maçonnique, dont il aimait à être le royal protecteur, il ne voyait rien autre chose qu’une institution de philanthropie, à laquelle ses propres discours franc-maçonniques assignaient expressément deux fondemens : « la Bible, et la doctrine des Evangiles ; » et il désapprouvait hautement toutes les aspirations qui visaient à détacher de ses assises chrétiennes la franc-maçonnerie de son Empire.

Guillaume Ier ne cédait à aucun esprit de secte ; son protestantisme, pieux et sincère, n’avait rien d’agressif. « Plus Votre Majesté évitera tout commerce avec le pape romain et toute tentation de soutenir sa puissance, lui écrivait le 28 mars 1871 un protestant d’Elberfeld, plus elle poursuivra cette politique allemande protestante, plus Dieu la bénira. » De tels propos, et le souvenir des traditions protestantes de sa maison, pouvaient peut-être, à la longue, agir sur l’Empereur, mais à la longue seulement. On se tromperait fort en voyant en lui un prosélyte, pressé d’exploiter ses victoires pour faire progresser dans ses États la Réforme aux dépens de l’Eglise romaine. En lui, ce