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en même temps de bons chrétiens. Les deux Reichensperger appartenaient à la magistrature ; Savigny occupait un haut poste au ministère des Affaires étrangères. Ces loyaux serviteurs de la monarchie étendaient leurs mains chrétiennes sur la Constitution prussienne, qui avait affranchi les Eglises, et la proclamaient intangible. Ils apparaissaient comme un parti d’éventuelle défensive : rien de plus. Ils faisaient même figure de ministériels : Auguste Reichensperger et Mallinckrodt prirent la défense de Mühler, ministre des Cultes. Ils avaient si grande peur, enfin, de déchaîner eux-mêmes les débats religieux, qu’ils renoncèrent, pour l’instant, à soutenir certaines revendications catholiques au sujet de l’Académie de Münster.

Mais, sans même attendre les actes, les nationaux-libéraux reprochaient au jeune parti d’exister ; ils dénonçaient la « bande des noirs, la gendarmerie noire ; » à leur instigation, Auguste Reichensperger qui, dans ce nouveau chœur parlementaire, remplissait à son corps défendant le rôle de « premier violon, » fut exclu de la vice-présidence de la Chambre ; et la Gazette d’Augsbourg, organe lointain de leurs colères, s’indignait que « la terre rhénane et westphalienne, la partie la plus florissante, la plus éclairée, la plus active de l’Allemagne, » eût envoyé à la Chambre prussienne un si grand nombre d’ultramontains. « Une bataille perdue sur la Loire, gémissait la Gazette, serait un moindre malheur pour la nation… Une organisation mécanique a jeté sur nous un filet… Ainsi va progressant, dans l’ombre, la conjuration contre l’Etat, contre la civilisation… »


III

Bismarck, lui, là-bas à Versailles, se réservait : sincèrement étranger à l’intolérance naturelle de ces parlementaires, il voyait sans colère la formation du nouveau groupe, qui, pour l’instant, ne paraissait le menacer d’aucune gêne. En cet automne de 1870, la construction de l’Empire absorbait sa pensée : petits et grands plénipotentiaires des Etats du Sud étaient mandés à Versailles, non pour apporter des pierres à l’édifice nouveau, mais tout simplement pour y mettre à l’alignement, bien en retrait derrière le balcon du roi Guillaume, les fenêtres pavoisées de leurs propres souverains. La besogne marchait bien ; mais à l’horizon flottaient certains nuages, qui mécontentaient Bismarck contre