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certains bruits, d’après lesquels la France, si le succès l’eût favorisée, aurait fait une croisade anti-protestante : le prince royal, écoutant ce qui se disait en Alsace, notait, dès le 9 août 1870, ces étranges rumeurs ; et l’on racontait dans le Palatinat que si nos turcos avaient passé le Rhin, ils auraient coupé la tête aux paysans protestans. La coupable légèreté d’un journaliste affirmait, dans un grand organe parisien, que des souscriptions s’organisaient pour les Prussiens dans les populations protestantes du Languedoc ; et parmi ces populations couraient des bruits sinistres : elles s’attendaient à des massacres, le 9 août à Nîmes, le 15 août en Alsace, le 6 septembre dans les Cévennes. L’invraisemblance même de nos désastres, déconcertant nos prévisions, déroutant nos jugemens, rendait les esprits accessibles à d’autres invraisemblances, celles du mensonge ; et de ce chaos d’absurdités émergeait pour certains cette redoutable conclusion, que la guerre des deux peuples était, en son essence, le duel de deux confessions. Les nationaux-libéraux goûtaient ce genre de formules, à la faveur desquelles leurs compatriotes catholiques, soldats victorieux d’une armée victorieuse, paraîtraient, avec toute leur Eglise, englobés par le Dieu de Luther dans la providentielle disgrâce de l’ennemi vaincu.


II

Il était naturel qu’à l’encontre de pareilles manœuvres, l’opinion catholique s’armât et s’organisât. Entre 1852 et 1863, la Chambre prussienne avait possédé une fraction catholique, dont nous avons naguère raconté la grandeur et la décadence. Les campagnes parlementaires et populaires dirigées en 1869 contre les cloîtres avaient invité les fidèles de Rome à se grouper de nouveau ; et leurs bonnes volontés, laborieuses, tâtonnantes, avaient ébauché plusieurs projets. L’un d’eux, élaboré par Pierre Reichensperger, était adressé à la Gazette populaire de Cologne le 11 juin 1870 ; un autre, qui portait la date du 28 octobre, s’était lentement préparé dans la petite ville westphalienne de Soest, devenue pour les catholiques de Prusse, on s’en souvient peut-être, un laboratoire d’études sociales. Ces deux programmes réclamaient le maintien des libertés religieuses garanties par la Constitution, le maintien du caractère confessionnel de l’école, et des allégemens fiscaux ; le manifeste de Soest contenait, par