Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/812

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ils détestaient, encore, dans la France impériale, la puissance centralisatrice dont les maximes administratives, reprises en tous pays par les pouvoirs forts, menaçaient les autonomies locales ; et si le joug prussien pesait sur eux d’un poids trop lourd, ils s’en prenaient derechef à cette France à laquelle on empruntait, pour les asservir, certains principes de gouvernement. Ce qu’en un mot ils détestaient dans la France de Napoléon III, c’était la France révolutionnaire elle-même, sur laquelle jadis le génie de Joseph Goerres, un Rhénan, avait vomi l’anathème comme un volcan crache sa lave. Et l’on voyait les catholiques de Prusse, allègres, enthousiastes, marcher côte à côte, sous les enseignes du roi Guillaume, avec des protestans à la mémoire longue, qui se targuaient de faire expier la Révocation de l’Edit de Nantes et de découronner une grande puissance catholique ; avec des « libéraux, » lointains bâtards de la France de 1792, qui, par la conquête de l’Alsace et par l’unification germanique, prétendaient sanctionner le principe révolutionnaire des nationalités. L’esprit au nom duquel s’était fait Sadowa et l’esprit qui, sourdement, continuait de protester contre Sadowa, avaient soufflé, l’un et l’autre, dans les drapeaux de la Prusse, pour les pousser au-delà du Rhin ; une force supérieure, la discipline prussienne, les empêchait de se quereller entre eux, et même, sous le bivouac, de garder le sentiment de leur conflit ; mais du fond des consciences, consciences ennemies qui toutes étaient des consciences d’Allemands, ils continuaient de souffler, et les drapeaux d’avancer.

Dans les Etats du Sud, les chefs parlementaires des catholiques avaient en général déploré la guerre ; ils craignaient que l’ « autel du prussianisme » — le mot est du Bavarois Ringseis — n’en fût rehaussé. Le 17 juillet encore, une feuille catholique de Munich télégraphiait à Paris que la Bavière n’accorderait pas un kreuzer pour la mobilisation. Mais, trois jours après, sans grands tiraillemens, la Chambre bavaroise elle-même, où les catholiques dominaient, votait les crédits militaires réclamés. L’opinion des plus mécontens se reflétait, avec une subtile exactitude, dans un mot du publiciste Joerg, directeur des Feuilles historico-politiques, qui avait combattu les crédits : il appelait de tous ses rêves une intervention de l’Autriche entre les deux belligérans, et il ajoutait : « Sinon, le triomphe de la Prusse sera la perte de la liberté germanique, le triomphe de la France