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plus tard son roman des Treize Tilleuls devait rendre populaire dans tous les pays où l’on dit Ia. Weber, en 1870, nous traquant jusque dans nos bibliothèques, adressait à Bismarck un poème pour réclamer de la Prusse triomphante qu’elle nous reprît le fameux manuscrit de Manesse, jadis apporté de Heidelberg, et qui contenait les strophes de plus de 120 Minnesinger. On eût dit que Weber excitait au butin, comme Janssen au combat ; et c’est en chantant une marche de Weber que les hussards rhénans scandaient chez nous leurs chevauchées.

Le converti Bernhard, beau-père du grand tribun catholique Mallinckrodt, affichait la haine de la France ; Mallinckrodt lui-même s’offrait, dès le début de la guerre, pour remplir en Alsace un poste administratif. Dans le dernier Parlement de l’Allemagne du Nord, le 26 novembre 1870, Pierre Reichensperger exultait : « Je ne mets pas en doute, s’écriait-il, qu’à nos yeux s’ouvriront les portes du Kyffhaüser et que nous saluerons à son aurore le réveil de l’Empire. » Ainsi réapparaissait en plein Parlement, évoqué par ce juriste catholique, le même mythe dont s’étaient enchantées les imaginations érudites d’un Weber ou d’un Janssen. « Je prendrai aux Français l’Alsace et la Lorraine, disait à son tour son frère Auguste, et je leur octroierai le comte de Chambord comme roi. Les pauvres diables, du moins, auraient de nouveau un principe sous les pieds. »

Les catholiques de la Westphalie et du Rhin détestaient dans la France du second Empire la puissance qui avait humilié la catholique Autriche par l’affranchissement de l’Italie, et qui avait indirectement humilié l’Allemagne par l’affaiblissement de l’Autriche ; avec une étrange partialité, ils en voulaient à Napoléon, beaucoup plus qu’à Bismarck, de tout ce qu’ils trouvaient de douloureux dans les conséquences de 1866. Puisque la « Grande Allemagne » n’était plus, ne pouvait plus être, et puisqu’une occasion s’offrait de tirer vengeance et de faire en même temps, peut-être, quelque chose de grand avec la « Petite Allemagne, » avec l’Allemagne amputée de l’Autriche, ils s’en iraient vers Sedan, et même plus loin… L’histoire diplomatique regarde Sedan comme la suite de Sadowa ; mais leur mysticisme, à eux, considérait Sedan comme la revanche de Sadowa, comme une punition divine, accablant à jamais celui que Janssen appelait l’aventurier Welche, ce Napoléon qui avait permis aux Hohenzollern de vaincre les Habsbourg.