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était fermé. Rapprocher seulement Madelon de Mme de Rambouillet, c’est d’une absurdité qui saute aux yeux. Et souvenons-nous que Mme de Longueville, Mme de Sablé, Mme de Sévigné elle-même et Mme de La Fayette ont été des précieuses. Cela nous rendra respectueux.

Qu’était-ce après tout que la précieuse dans le sens primitif du mot, la précieuse telle qu’elle est représentée dans le Grand Cyrus encore mieux que dans la Clélie ? La précieuse est une femme qui a du prix et qui le sent. C’est une femme qui a du prix, qui est le contraire d’une personne vulgaire, une femme distinguée et dont la distinction paraît dans toute sa personne, dans ses sentimens, dans son langage, dans ses manières. La précieuse est d’abord une femme distinguée par son esprit, car l’ignorance est une vulgarité. Il est un certain degré de culture de l’intelligence dont il ne lui était pas permis de se passer. On ne lui demande pas de la science ; la pédanterie serait une autre espèce de vulgarité ; mais on veut, comme Molière lui-même, « qu’elle ait des clartés de tout. » N’oublions pas que le salon bleu n’était pas seulement un lieu de conversation, c’était encore un lieu de lecture. Corneille y venait lire Polyeucte, Voiture y récitait ses petits vers ; Bossuet, âgé de seize ans, y prononça son premier sermon qu’il acheva sur te coup de minuit. Sur quoi Voiture lui dit : « Monsieur, je n’avais jamais entendu prêcher ni si tôt, ni si tard. » La lecture terminée, on discutait, on raisonnait, chacun disait son avis. La précieuse devait donc être en état de se connaître en prose et en poésie ; elle était tenue à admirer et à critiquer à propos et au besoin à savoir dire pourquoi. Aussi le salon bleu a-t-il rendu d’éminens services à l’éducation des femmes en France ; il a été pour elles comme un foyer de culture. C’est sous le règne de Louis XIII qu’elles commencent à lire, à s’instruire ; c’est à dater de cette époque, que l’ignorance est mal vue, regardée en pitié. Ce qu’il fallait surtout à une précieuse, en matière de connaissances littéraires, c’était à tout le moins une teinture d’italien et d’espagnol, les deux langues à la mode. Savoir le latin était un luxe que s’accorda Mme de Sévigné. Savoir le grec, était une ambition qui ne se rencontra guère que chez l’abbesse de Fontevrault. Mais la langue du Tasse et celle de Lope de Vega étaient familières à un grand nombre de précieuses.

La distinction de l’esprit n’est rien sans la distinction du