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les victimes d’un guet-apens. Je n’analyserai pas ces vingt volumes. Aussi bien y serais-je embarrassé. M. Cousin, qui en raffole, déclare qu’après des années d’études, il n’a pas réussi à bien saisir l’intrigue du Grand Cyrus. Encore l’a-t-il lu la plume à la main. Aussi Saint-Simon, pour donner une idée du décousu qui régnait dans les discours du duc de Lauz un, lequel avait la manie de parler de ceci à propos de cela et de cela à propos de ceci, et se perdait à tout coup dans ses paroles, Saint-Simon ne trouve pas d’autre terme de comparaison que les intrigues de Mlle  de Scudéry. De l’intrigue de la Clélie, je ne veux dire que ceci, c’est qu’elle commence par ces mots :

« Il ne fut jamais un plus beau jour que celui qui devait précéder les noces de l’illustre Aronce, et de l’admirable Clélie ; et depuis que le Soleil avait commencé de couronner le Printemps de roses et de lis, il n’avait jamais éclairé la fertile campagne de la délicieuse Capoue, avec des rayons plus purs, ni répandu plus d’or et de lumière dans les ondes du fameux Vulturne, qui arrose si agréablement un des plus beaux pays du monde. Le ciel était serein, le fleuve était tranquille, tous les vents étaient renfermés dans ces demeures souterraines, d’où ils savent seuls les routes et les détours ; et les Zéphyrs même n’avaient pas alors plus de force qu’il en fallait pour agiter agréablement les beaux cheveux de la belle Clélie : qui, se voyant à la veille de rendre heureux le plus parfait amant qui fut jamais, avait dans le cœur, et dans les yeux, la même tranquillité qui paraissait être alors en toute la Nature. »

À quoi donc tient que l’illustre Aronce n’épouse sur-le-champ l’admirable Clélie ? Cela tient à un tremblement de terre qui, à la dixième page du premier volume, fait disparaître subitement Clélie et la fait tomber, par une série d’accidens inexplicables, entre les mains d’Horace, rival d’Aronce. Et il faut dix volumes, ni plus ni moins, avant qu’Aronce puisse conduire à l’autel Clélie : « De sorte qu’après tant de malheurs ces deux illustres personnes se virent, aussi heureuses qu’elles avaient été infortunées, et ne virent rien qui pût égaler leur bonheur, que leur vertu. Mais comme Clélie avait une statue à Rome, Porsenna lui en fit faire aussi une, devant le superbe tombeau qu’il avait fait bâtir, et Anacréon mit ces vers au piédestal de la statue :