escalier à l’un des coins, afin d’avoir une enfilade de grandes chambres, toutes de plain-pied et communiquant entre elles. La seconde nouveau le fut que jusqu’alors toutes les tentures étaient rouges ou brunes, et que Mme de Rambouillet, désireuse de ménager aux yeux des plaisirs neufs, imagina une tenture de velours bleu rehaussée d’or et d’argent. « Elle s’est fait faire un palais de son dessein, qui est un des mieux entendus du monde. Et elle a trouvé l’art de faire, en une place d’une médiocre grandeur, un palais d’une vaste étendue. L’ordre, la régularité, et la propreté, sont dans tous ses appartemens, et à tous ses meubles : tout est magnifique chez elle, et même particulier ; les lampes y sont différentes des autres lieux ; ses cabinets sont pleins de mille raretés, qui font voir le jugement de celle qui les a choisies ; l’air est toujours parfumé dans son palais ; diverses corbeilles magnifiques pleines de fleurs font un printemps continuel dans sa chambre ; et le lieu où on la voit d’ordinaire est si agréable et si bien imaginé, qu’on croit être dans un enchantement, lorsqu’on est auprès d’elle. Au reste jamais personne n’a une connaissance si délicate qu’elle pour les beaux ouvrages de proses, ni pour les vers. Elle en juge pourtant avec une modération merveilleuse ; ne quittant jamais la bienséance de son sexe, quoiqu’elle soit beaucoup au-dessus[1]. »
Et voilà le fameux salon bleu foncé, qu’elle consacre aux plaisirs de la conversation. Dans ce salon bleu, elle rassemble tout ce que Paris possédait alors d’hommes et de femmes distingués par la naissance et par le mérite. On sait que ce salon devint bientôt une véritable institution sociale, tant l’influence s’en fit ressentir sur les mœurs, sur les esprits et les caractères. Et voilà pourquoi le roman quitte les bords du Lignon. C’est le salon bleu qui l’attire. Il pourra la satisfaire à son gré ce goût de conversation qui le possède. Et au salon bleu le roman s’appellera Sapho ou Mlle de Scudéry, c’est tout un. Et Sapho, ou Mlle de Scudéry, écrira le Grand Cyrus et la Clélie. Et dans ces deux œuvres on verra du monde tout ce qui s’en peut voir à la clarté des bougies.
Recueillons-nous. Le Grand Cyrus ! la Clélie ! Le Grand Cyrus a dix volumes. La Clélie a dix volumes ! Dix et dix font vingt. Vingt volumes !… mais rassurez-vous, vous ne serez pas
- ↑ Portrait de Cléomire (Grand Cyrus).