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des clercs, des moines et des hommes de robe ; elle ne songea pas à supprimer les classes diverses qui constituent la hiérarchie sociale, mais elle voulut qu’un fond de même culture, qu’une éducation commune formât comme le trait d’union entre ces classes distinctes ; elle entendit que la noblesse renonçât à son ignorance et à son mépris des choses de l’esprit, que le jeune noble devînt quelque peu clerc. Problème plus compliqué que dans l’antiquité ; car à Athènes du temps de Périclès, l’enseignement se bornait à l’étude du grec et de la Grèce ; mais le programme de l’enseignement au XVIe siècle était le programme encyclopédique du moyen âge encore et étendu et agrandi. Fortes et puissantes études, plus abondantes que méthodiques et sous le poids desquelles on a peine à comprendre que de jeunes cerveaux ne succombassent pas. Honoré d’Urfé, sorti d’une des plus illustres familles du Forez alliée à la maison de Savoie, avait passé par ces fortes études de la Renaissance, il avait appris presque tout ce que Rabelais fait apprendre à son Pantagruel et, dans une fête collégiale, il récita des tirades de vers et des harangues en grec, en latin et en hébreu. Aussi ses bergers sont-ils savans comme lui ; en bon père, il leur a fait part de sa science. Ils en savent du moins beaucoup plus qu’il n’est nécessaire pour garder des moutons. Ils sont très forts sur la géographie, sur les antiquités des Gaules, sur l’histoire ; ils savent le grec, le latin ; ils se plaisent à faire des étymologies, lesquelles sont le plus souvent assez baroques ; ils savent aussi l’astronomie, ils sont encore physiciens, la théorie de la boussole leur est familière. Bref, ces bergers se sont assis longtemps sur les bancs de l’école, et on ne peut les accuser d’y avoir perdu leur temps. O bergers de Théocrite et de Virgile, que vous êtes naïfs et ignorans auprès de ces gens-là !

Et de toutes choses ils parlent en bons termes, avec une aisance, une noblesse de ton soutenue, avec une élégance châtiée qui ne se dément jamais. Disons tout : ils ont les défauts de leurs qualités, ce qui est vraiment pardonnable. Il y a tant de gens qui n’ont pas les qualités de leurs défauts ! Ces défauts sont encore ceux de leur époque. À force de vouloir être civils, ils donnent quelquefois dans l’afféterie ; à force de vouloir bien dire, ils passent souvent le but, et leurs grâces sont mignardes, et si on ne peut leur refuser d’avoir de l’esprit, on peut les accuser de tomber souvent dans le bel esprit. C’était la maladie du