Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/785

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mois de mars, l’occasion lui en est fournie par la délivrance imminente de l’Impératrice, par l’approche de ces couches qui feront le grand événement de l’année. Placé par ses services dans l’élite des fidèles, Murat sera-t-il privé de voir dès le premier moment « l’auguste rejeton » que l’univers attend ? Il sollicite sous ce prétexte la permission d’aller à Paris et y court.

Quelques jours après la naissance du Roi de Rome, au commencement d’avril, il est à Paris qu’il trouve encore tout transporté d’enthousiasme, tout vibrant d’une des émotions les plus intenses que la grande ville ait ressenties au cours des siècles. L’Empereur accepte dans sa suite ce roi qui s’est invité de lui-même, mais il lui bat froid et l’humilie comme à plaisir. Murat écrit à sa femme des lettres débordantes d’amertume. De loin, Caroline compatit à ses dégoûts, à ses disgrâces : « Quand je songe aux humiliations que tu éprouves et à tout ce que tu me dis dans tes lettres, j’en verse des larmes pour toi et je désire ardemment que tu reviennes et que tu te calmes… » Comme l’Empereur ne laisse rien préjuger de ses dispositions à venir, Caroline tremble pour le royaume ; elle s’épouvante d’autant plus qu’à Murat désenchanté d’un vain titre, une carrière nouvelle semble subitement s’ouvrir.

Aussi bien, au lendemain de l’événement où les peuples de France ont cru voir un signe de stabilité et de paix, après que leur vaste horizon a paru se rasséréner, un orage se forme au Nord, se rapproche, se précise. A n’en pas douter, la Russie détachée de l’alliance de Tilsit et d’Erfurt, la Russie se livre à des mouvemens suspects ; ses armées lâchent prise en Orient pour remonter vers la frontière occidentale de l’Empire ; elles se concentrent et grossissent. Effectivement, il est aujourd’hui avéré, d’après d’irrécusables témoignages, qu’en ce temps l’empereur Alexandre avait conçu le projet d’entreprendre contre Napoléon une guerre d’offensive et de surprise. Son projet était de jeter brusquement ses armées sur le duché de Varsovie et d’enlever cet avant-poste de la puissance française ; il espérait suborner la Pologne et la retourner contre Napoléon en la reformant pour son compte, en se déclarant chef et roi d’une Pologne autonome ; ensuite, il libérerait la Prusse, se rallierait l’Autriche, ferait appel aux Etats secondaires, aux peuples, et proclamerait l’universelle délivrance ; il voulait soulever