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Au bout de quelque temps, elle n’y tient plus ; sa passion conseillère et sermonneuse l’emporte, car elle entend monter autour d’elle la plainte de toutes les personnes que leur naissance et leur rang placent le plus près du trône.

Poursuivant l’œuvre de Joseph, Murat tenait la main à l’abolition graduelle du régime féodal. On procédait au partage des biens féodaux entre les communes et les anciens seigneurs. Une commission centrale, instituée par le Roi, tranchait arbitralement les différends. Or, cette commission passait pour outrageusement partiale envers les communes, animée d’un esprit de spoliation à l’égard de la grande propriété, et tous les nobles de Naples, tous les gens vivant d’eux, de crier misère, d’étaler leur indigence, d’entourer la Reine de mines douloureuses et de la circonvenir de récriminations éplorées. Alors, tournant le dos à la Révolution dont elle-même est issue, Caroline prend le parti de la classe où elle croit trouver le naturel soutien du trône. Au nom des intérêts lésés et des fortunes amputées, elle se permet d’adresser au Roi, par lettre du 24 août 1810, une grande remontrance :

« Mon cher ami, je profite d’une occasion sûre qui se présente pour t’écrire un peu longuement et te parler à cœur ouvert de tes intérêts. Je ne me lasserai point de te parler de l’affaire des draps de France, parce qu’elle est plus importante que tu ne parais le penser, et je suis vraiment peinée de tout le retard que tu mets à ton adhésion… Je vais te parler aujourd’hui d’une affaire qui est encore plus importante pour toi.

« Le jour de ta fête, il n’y a eu que les dames du palais et les personnes de la cour qui sont venues au cercle ; il n’y a paru aucune des dames présentées. Cela vient de ce que la misère est au comble dans toutes les familles nobles, et qu’elles n’ont pas de quoi acheter des robes, depuis que cette maudite commission ruine tous les jours quelques nouvelles personnes. Je t’assure que c’est une désolation universelle et qu’on ne voit plus de joie, ni de figures gaies dans Naples, parce que la commission a ruiné tout le monde. A Paris, personne ne pouvait concevoir comment tu te décidais à perdre ainsi l’amour de tes sujets. Toutes les personnes qui s’intéressaient à toi, comme l’archichancelier et autres, disaient qu’ils n’y concevaient rien et qu’ils n’en voyaient pas le motif, et les étrangers disaient hautement qu’à Naples il n’y avait point de roi, mais que la