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du détroit de Messine, en face de la Sicile ; elle le trouva en un moment où de plus en plus son âme s’enfiévrait. Sous un ciel de feu, en climat malsain, en pays dénué de ressources, il languit et s’énerve, car rien ne marche à son gré et l’entreprise tourne mal. A l’horizon, une escadre anglaise se tient en croisière permanente ; elle surveille le détroit, paralyse la flottille napolitaine, empêche le passage, et Murat s’irrite de l’obstacle. Autour de lui, dans les divisions françaises placées sous ses ordres, il constate peu de bonne volonté, un dédain pour les troupes napolitaines ; chez les généraux français, il soupçonne des arrière-pensées qu’il attribue à des contre-ordres expédiés de Paris secrètement ; il juge que l’Empereur ne le seconde pas sincèrement et ne joue pas avec lui franc jeu.

En même temps, tout ce qui lui revient du siège lointain de l’Empire, les nouvelles de Paris, les actes publics le consternent et l’exaspèrent. Dans le traitement infligé à Louis, il lit son sort futur ; les procédés employés l’indignent. Les termes du rapport rédigé par le ministre Champagny à l’appui du décret de réunion, le langage tenu publiquement par l’Empereur au jeune grand-duc de Berg, fils de Louis, lui semblent d’indirectes injures. Périodiquement la lecture du Moniteur le fait sursauter, et contre l’Empereur tyran des siens autant qu’universel despote, il se prend à épouser les griefs de toute la famille. Il n’est pas jusqu’aux changemens survenus dans l’administration intérieure de l’Empire, dans le ministère, qui n’ajoutent à son trouble. Fouché, avec lequel il entretenait des relations d’ancienne date, Fouché, son plus ferme appui, vient d’être disgracié ; le successeur de Fouché, le nouveau ministre de la Police, le surveillant général des rois autant que des peuples, c’est Savary, en qui Murat se voit depuis longtemps un mortel ennemi. Ainsi, tout est à ses yeux indice de desseins hostiles, signe contre lui et présage funeste. Alors, répondant à sa femme, il ne résiste pas à exhaler ses ressentimens et ses rancœurs, à faire âprement le procès de la politique impériale. Sans doute, il reconnaît qu’en lui recommandant la prudence et le calme, sa femme a raison ; il promet d’être sage, mais le ton général de sa lettre dément cette assurance. On sent qu’une tranquillité contrainte, un sang-froid de surface recouvrent en lui un bouillonnement intérieur, une lave de passion et de colère qui se cherche une issue. Sous des