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étais très bon pour moi, et que, s’il pouvait y avoir eu quelques petites choses entre toi et moi, ce n’étaient que des choses passagères qui ne méritaient pas son attention, et que je le priais de ne plus s’en occuper. Il m’a répondu que cela le touchait plus que je ne croyais, parce que les étrangers voyaient le cas que l’on faisait de lui par la manière dont on me traitait, et que tout se savait. Je n’aurais point dû te parler de cela, et je t’assure que je n’ai eu aucune intention qui me regarde en te le disant, mais j’ai voulu te prouver combien l’Empereur est susceptible, et que la moindre chose peut le fâcher. Il est très irritable dans ce moment-ci. Je te donne donc un bon conseil, c’est de passer sur bien des petites choses, pour en obtenir par la suite de plus grandes, et pour nous maintenir dans son amitié.

« Quel est ton but ? C’est de te maintenir où nous sommes et de conserver le royaume ; il faut donc faire ce qu’il désire et ne pas le fâcher lorsqu’il demande quelque chose, car il est le plus fort et tu ne peux rien contre lui. Peut-être qu’un jour il se calmera et qu’alors tu pourras rentrer dans tous tes droits. Tu obtiendras plus en faisant des sacrifices qu’en l’irritant. En faisant ce que l’Empereur demandera, il est possible que tu le prives de tes ressources et que tu t’appauvrisses, mais au moins tu conserveras le royaume, et si par suite tu en étais réduit à le quitter, que ce soit lorsque tu ne pourras plus tenir, et tu n’auras alors aucun reproche à te faire vis-à-vis de tes enfans. Toute l’Europe est écrasée sous le joug de la France. Joseph même ne pourra pas tenir longtemps, l’Empereur s’en plaint beaucoup parce que tous les Français disent du mal de lui, et qu’il ne peut les contenter. Louis a tout perdu. Jérôme a reçu quinze mille hommes qu’il est obligé de nourrir, et il est impossible qu’il y tienne plus de six mois. Tous les autres Etats sont également tourmentés. Ainsi, tu vois que tu es encore le moins maltraité ; je t’engage donc à t’accommoder à la situation où tu te trouves, à souffrir, à ne donner lieu à aucune plainte ; un jour peut-être tu retireras le fruit de ta patience.

« Ayant dit à l’Empereur qu’il ne devait pas nous comparer à la Hollande, et que nous nous attachions toujours à faire ce qui pouvait lui plaire, il m’a dit : « Cela est vrai, je ne suis pas mécontent du roi de Naples comme du roi de Hollande, mais le Roi dit toujours qu’il fait ce que je veux, et cependant il passe quelquefois mes ordres et souvent, dans des choses