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ramage : « C’était une joie et un bruit à ne pas s’entendre, ils sont vraiment charmans ! » Puis, sa lourde préoccupation la ressaisit. Encore mal remise de la fatigue et de l’énervement du voyage, elle dicte pour le Roi une longue lettre et s’enquiert de quelqu’un de sûr qui puisse la porter à destination à travers les monts de Calabre fourmillans de bandits, à travers ces régions de brigandage et d’escopettes braquées sur le passage des courriers. Dans cette lettre, elle trace pour son mari toute une règle de conduite, une règle de patience et de prudence :

« Mon cher ami, je fais chercher partout un officier qui puisse te porter cette lettre et surtout la brûler s’il était attaqué par les brigands. Je serais bien fâchée que tu ne pusses pas la recevoir, parce que j’espère qu’elle te tranquillisera, et que je désire que tu fasses attention à tout ce que tu dis, que tu voies un peu dans le présent et que tu ne te tourmentes pas, comme tu fais toujours, pour l’avenir.

« J’ai vu l’Empereur au moment de mon départ, qui m’a chargée, comme je te l’ai dit hier, de bien des amitiés pour toi. L’affaire de Hollande m’ayant fait craindre pour nous, je lui ai exprimé mes inquiétudes. Il m’a répondu : « J’aime le Roi, je suis fort content de l’attachement que vous m’avez prouvé pendant ces sept mois, aussi je ne chercherai point à vous faire de la peine. Mais cependant je désire que vous parliez au Roi franchement, et que vous lui disiez quelles sont mes intentions. Voilà ce que je désire de lui : qu’il favorise le commerce français, et que ce ne soit pas comme dans le temps de la reine Caroline. Si j’ai mis un roi de ma famille à Naples, ce n’est pas pour que mon commerce aille plus mal que lorsque j’y avais un ennemi. Je veux avant tout que l’on fasse ce qui convient à la France. Si j’ai conquis des royaumes, c’est pour que la France en retire des avantages et si je n’obtiens pas ce que je désire, alors je serai obligé de réunir ces royaumes à la France. Voilà ce que je ferai de l’Espagne et des autres Etats, si l’on ne veut pas entrer dans mon système. Je désire aussi que mes troupes ne soient pas commandées par des généraux napolitains, parce que le Français n’aime point cela. Je veux que tous les Français soient bien traités dans vos Etats. Je veux aussi que le Roi vous traite bien… » et il a ajouté plusieurs choses relatives à cela.

« Je lui ai dit que j’étais heureuse et contente, et que tu