Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rôle en Arcadie. On le consulte comme un oracle, oracle commode dont on obtient toujours la réponse qu’on désire. Et quand ils ne consultent pas l’écho, les bergers du Lignon consultent les druides, les prêtres du grand Teutatès ; car il y a des druides dans l’Astrée, et nous verrons plus tard ce que sont ces druides. Ou bien encore, assis dans une prairie, ils tressent des guirlandes, ils chantent en s’accompagnant de la lyre, ou ils pleurent et regardent tomber leurs larmes dans le courant d’un clair ruisseau. D’Urfé décrit cette vie avec un enchantement sans cesse renaissant qu’il réussit à faire partager à ses premiers lecteurs. C’était un esprit fort romanesque qu’Honoré d’Urfé. Dans sa jeunesse, il avait aimé passionnément la belle Diane de Chateaumorand. Mais il dut céder sa main à son frère aîné, son heureux rival. Après la mort de ce frère, il se hâta d’accourir auprès de sa veuve, brigua sa main, obtint une dispense du Pape et parvint enfin à l’épouser. Hélas ! son bonheur fut de courte durée. Diane perdit bientôt sa beauté, elle devint morose, acariâtre ; elle avait, de plus, un singulier laisser aller dans ses habitudes, sans compter qu’elle aimait de passion cinq ou six chiens de chasse qui ne la quittaient pas. N’ayant pu réaliser dans sa vie le roman de ses rêves, Honoré d’Urfé prit le parti de l’écrire. Que de gens leur écritoire a consolés de tout !

Jusqu’à présent, nous n’avons relevé dans les héros de l’Astrée que les traits de caractère et de visage qui leur sont communs avec tous les héros de pastorales. Il est temps de signaler ce qui fait leur physionomie propre, ce en quoi ils expriment plus particulièrement leur époque. Mais je me contenterai d’abord de la considération que voici :

Ce qui frappe dans les bergers de l’Astrée, c’est à la fois les ressemblances et les différences qui sont entre eux et les héros des romans de chevalerie. Au fond, ce qu’on peut appeler leur culture morale, les règles qui dirigent leur conduite, leurs sentimens, leurs maximes sont essentiellement conformes, ou pour mieux dire, sont empruntés à l’idéal et au code chevaleresque. Leurs vertus sont celles-là mêmes que déposait dans les cœurs bien nés l’éducation chevaleresque. L’honneur est leur divinité suprême, ils sont prêts à mourir plutôt que d’y forfaire. Ils sont braves, loyaux, esclaves de la foi jurée. Le mensonge, la perfidie, la félonie sont les vices qui leur inspirent le plus d’horreur. L’amour qu’ils professent pour leur bergère est aussi