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conservateur, arrivant le premier, devrait avoir tous les avantages du scrutin. Il semble bien, en effet, qu’il en ait les avantages moraux. Sans doute il ne peut pas gouverner, mais il n’est pas au pouvoir, et il a mis dans l’impossibilité de le faire fortement et longtemps les Libéraux qui y sont. Or, c’est le but qu’ils poursuivaient. Ils ne désiraient point avoir la majorité sur la coalition gouvernementale, sachant bien que, s’ils l’avaient, elle serait seulement de quelques voix et qu’ils seraient dès lors réduits, le lendemain, à l’impuissance. C’est le rôle qu’ils réservaient à leurs adversaires radicaux. Qu’adviendra-t-il de tous ces calculs ? Nul ne le sait. L’Angleterre est aujourd’hui en plein désarroi ; elle a trop l’esprit politique pour ne pas en sortir ; mais comment ? On parle de solutions moyennes qui consisteraient à faire un gouvernement provisoire composé d’hommes distingués pris dans les deux partis, à l’exclusion de leurs chefs officiels et de ceux de leurs membres qui se sont engagés le plus à fond dans la bataille. C’est ce que, dans quelques momens troublés de notre propre histoire, on appelait le recours aux Sabines, par allusion à un tableau célèbre où des femmes éplorées se jettent entre les combattans pour les réconcilier. Ces combinaisons, lorsqu’on les essaie, ont généralement peu d’efficacité.

Pour le moment, nous nous contenterons de dire quel a été le caractère général des élections qui viennent d’avoir lieu, c’est-à-dire d’indiquer les questions dont le corps électoral s’est particulièrement préoccupé. Est-ce le budget de M. Lloyd George qui a passionné le plus les esprits ? Non ; il n’en a pas été parlé dans la bataille autant qu’on aurait pu le croire. Est-ce la Chambre des Lords qui a fait les frais de la polémique violente déchaînée sur le pays ? Pas davantage. Chose remarquable, les invectives révolutionnaires proférées contre la Chambre des Lords par MM. Lloyd George et Winston Churchill ont à peu près manqué leur but ; elles n’ont pas réussi à rendre les Lords impopulaires ; elles ont déplu, et il semble bien que leur exagération ait provoqué un mouvement de recul. L’Anglais, même peu instruit, a le sentiment confus, mais ardent et puissant, que, au total, la Chambre des Lords a joué un rôle bienfaisant dans l’histoire de son pays et qu’elle ne peut pas être condamnée en bloc. L’hallali si vigoureusement sonné contre elle n’a pas produit dans les masses anglaises le soulèvement qu’on en attendait. En réalité, la question qui a agité le pays est, par-dessus tout, celle du libre-échange et de la protection. Beaucoup d’autres élémens sont entrés en ligne de compte, mais celui-là a dominé. En le constatant, nous le regrettons en un certain sens,