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« Je ne suis pas certain, a dit le soupçonneux M. Briand, qu’on n’ait pas eu le désir de nous voir nous livrer à cette entreprise, avec l’intention de la représenter comme dirigée contre les pères de famille, et de dire à ceux-ci demain : Voyez ce gouvernement ; le voilà qui maintenant en arrive à vous enlever vos enfans, à vous nier tout droit de contrôle sur l’enseignement qu’on leur donne. » Si M. Briand avait besoin, pour retenir sa majorité, d’user de ces moyens assurément peu dignes de son talent, c’est son affaire. Il en a d’ailleurs éprouvé quelque confusion intérieure, car il a ajouté : « Je n’en suis pas sûr ; aussi je n’apporte qu’une hypothèse. » L’hypothèse est négligeable. Ce qui ne l’est pas, et ce dont il faut savoir vraiment gré à M. le président du Conseil, c’est la fermeté avec laquelle il s’est prononcé contre le monopole universitaire, instrument de coercition et de tyrannie. Sans doute il a réservé l’avenir. Si nous arrivons un jour, à force d’avoir échangé des coups de pied et des coups de poing, à réaliser ce miracle, d’ailleurs toujours instable, d’une unité parfaite des esprits et des cœurs, alors, mais alors seulement, le monopole sera sans danger entre les mains de l’Etat. Nous ne pensons pas que ce phénomène se produise avant le XXVe siècle, et encore ! Dans ces conditions, l’ajournement nous suffit.

M. Aynard, qui a terminé cette grande discussion par un discours plein d’esprit et de haute raison, a dit vraiment le mot de la fin. « Le bel examen de conscience nationale auquel nous nous sommes livrés doit avoir, a-t-il dit, une conclusion pacifique. S’il entraînait encore, autour de l’école, une nouvelle guerre entre citoyens, le jour où se clôt ce débat ne serait pas un jour de bienfait politique, mais un jour de malédiction. » Avec M. Aynard, nous ne sommes ni pour ceux qui attaquent et cherchent à supprimer l’enseignement libre, ni pour ceux qui attaquent et cherchent à supprimer l’enseignement de l’Etat. Dans la situation actuelle, l’un et l’autre sont nécessaires, et si, comme l’a affirmé M. Briand, l’Église seule peut organiser l’enseignement libre, il n’est pas moins vrai que l’État peut seul organiser et soutenir l’enseignement laïque. Il est permis de rêver, — M. Piou l’a fait et d’autres orateurs aussi, — une société où la liberté suffira à tout et créera pour chaque village les écoles dont il aura besoin, mais nous n’en sommes pas là et la seule logique ne conduit pas le monde. L’Université chez nous est une œuvre historique, très grande, très belle, à laquelle de grands intérêts intellectuels et moraux se rattachent, et nous la défendrions, si elle était sérieusement attaquée. Mais elle ne l’est pas, et l’école laïque ne court aucun danger. Au surplus