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l’enseignement libre. On aurait pu croire que c’était là le but du gouvernement après avoir entendu M. le ministre de l’Instruction publique ; on ne le croit plus après avoir entendu M. le président du Conseil.

Dégageons d’abord la partie philosophique du débat. Le principal reproche que les orateurs de droite ont fait à l’école laïque est qu’il lui est impossible d’enseigner la morale, parce qu’elle en a détruit le fondement qui ne saurait être ailleurs que dans la religion. L’école de l’État est neutre ; il lui est interdit de laisser apparaître une préférence religieuse quelconque, ou, pour mieux dire, de faire, dans son enseignement, une place au sentiment religieux, même le plus vague : dès lors, sur quoi l’instituteur pourrait-il appuyer sa morale ? Où est le bien, où est le mal, s’ils sont une conception purement humaine et d’ailleurs dépourvue de toute sanction ? La question est certainement embarrassante, et la thèse des orateurs de droite est très forte, si on se borne à la discuter dans le domaine de l’absolu ; mais, dans le domaine des réalités contingentes, il y a des accommodemens dont on s’est contenté souvent, et dont on pourrait se contenter encore si on y mettait, de part et d’autre, un peu de bonne volonté, de bon sens et de tact. Les enfans de dix ans auxquels s’adresse l’instituteur primaire n’ont peut-être pas besoin qu’on leur montre les fondemens de la morale ; il suffit de leur en indiquer les préceptes qui, en aucun cas, ne sont contraires à ceux qu’on leur enseigne dans la famille ou à l’église. M. le président du Conseil est allé plus loin : il a dit que l’instituteur pourrait donner aux enfans une leçon de choses et leur montrer en quelque sorte la morale en action en leur désignant, dans la commune, un homme ou une femme dont l’honnêteté serait reconnue et respectée de tout le monde. Ce procédé peut être utile : cependant le scepticisme de notre race s’est quelquefois exercé contre les rosières, et peut-être y aurait-il quelques inconvéniens à en créer un nouveau genre, dont le choix serait laissé aux instituteurs. Il pourrait y avoir des surprises ; il pourrait y avoir des erreurs. Mieux vaut que l’instituteur puise la morale qu’il enseignera aux enfans dans le vaste fonds de sagesse sociale qui est le produit de milliers de siècles de civilisation, et où il est d’ailleurs impossible, à moins d’un aveuglement systématique, de méconnaître l’apport aï important de la religion.

On peut vivre avec cela longtemps encore, et tout ce que nous demandons aux instituteurs, quand nous songeons à quelles intelligences encore rudimentaires ils s’adressent, est de ne pas philosopher, de ne pas subtiliser outre mesure. La neutralité véritable est là.