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ce qui regarde les représentations et galas. On s’explique dès lors la vogue d’Isabey, vogue qui ne fit que s’accroître tant que dura l’Empire, et qui lui survécut.

C’est que la miniature était, à vrai dire, son moindre talent ; et ce n’est pas sans raison qu’il incitait dans ses armes une lyre surmonté du chapeau de Mercure : il avait, en effet, plus d’une corde à son arc. C’est cette ubiquité d’aptitudes et cette inépuisable fertilité d’esprit, son inaltérable bonne humeur et sa jaillissante fantaisie, c’est son entrain et c’est sa « vie, » qui font de lui l’homme indispensable, impossible à bouder longtemps, à qui on n’ôte ses charges que pour les lui rendre aussitôt, celui qu’il faut à Louis XVIII pour pendre la crémaillère chez Mme du Cayla, à Charles X le jour du Sacre, à la duchesse de Berry pour animer les fêtes et les soirées de Rosny. Il jouit d’une espèce d’immunité diplomatique. Il est celui qui a des attaches avec tout le monde, qui parle de Joséphine avec la reine Hortense, et qui peut avec Marie-Louise évoquer Marie-Antoinette. A Vienne, dès 1812, l’Impératrice l’a député pour peindre la famille impériale d’Autriche. Lorsqu’en 1815 il y retourne pour le Congrès, il est décidément l’artiste « européen. » Dès le lendemain de son arrivée, il aperçoit des terrassiers en train de niveler le sol devant sa porte, et de faire disparaître les bornes et les barrières, afin de faciliter la circulation. Il occupe une sorte de situation internationale. Deux Empereurs, des rois, des archiducs et des Altesses, des princes et des maréchaux, tous les ambassadeurs et, plénipotentiaires, défilent devant lui. Sa maison est un terrain neutre, les coulisses du Congrès. Et il n’opère « en ville » que pour Impératrices.

Cette clientèle cosmopolite, il la retrouve à Paris, et pendant les quinze ou vingt ans où, sans emploi officiel, il n’est plus que le premier des portraitistes mondains et le roi des miniaturistes. C’est l’époque où s’envolent de ses mains par centaines ces petites figures que se disputaient nos aïeules, et qui composent à nos yeux le plus clair de son bagage. Et il faut convenir qu’elles ont cessé de nous enchanter. Nous ne comprenons plus la renommée exceptionnelle de l’auteur, ni la réputation qu’il eut d’artiste inimitable. Naguère, lors de l’Exposition de la miniature à la Bibliothèque nationale, sa royauté fut près de nous paraître usurpée. Mais il y a toujours des raisons au succès et il semble, cette fois encore, que le succès a eu raison.

Il faut tenir compte, en effet, d’une foule de choses qui nous échappent, et sans lesquelles la carrière d’un portraitiste, Van Dyck ou Lawrence, La tour ou Gainsborough, la nature de son talent et le