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qu’il eut à revenir sur l’eau après la chute de chaque régime, — peintre de Joséphine après l’avoir été de Marie-Antoinette, puis de Marie-Louise après Joséphine, puis des Alliés, du Congrès de Vienne, de la Restauration et du gouvernement de Juillet, — ou de l’ironique destinée par laquelle cette histoire, avec toutes ses vicissitudes et ses prodigieux remous, ne semble faite que pour varier les visages qui viennent s’inscrire tour à tour sur le mince disque d’ivoire ou de carton d’un miniaturiste. C’est là une aventure unique, et qui vaudrait déjà la peine d’être contée ; mais il se trouve encore que de cette période agitée et de ce drame aux mille personnages nul ne nous a laissé une plus spirituelle et plus exacte image : et c’est ce qui achève de rendre si intéressantes la figure et les œuvres de Jean-Baptiste Isabey.

C’est cette originale figure que je voudrais retracer ici d’après le copieux et consciencieux travail que vient de lui consacrer une femme dont le nom est bien connu de notre haute société parisienne. Mme de Basily-Callimaki n’a pas craint d’étudier sérieusement un « petit maître ; » elle lui a élevé, sans défaillance et sans sourire, un monument de quatre cents pages. Et les dimensions en paraissent d’abord un peu fortes pour un peintre de petits formats, dont l’art même donne l’idée de quelque chose de plus léger ou de plus portatif. Mais si, avant de l’ouvrir, on jugeait le livre trop long, on le trouvera court après l’avoir fermé. Magnifiquement édité et illustré à profusion d’admirables gravures, il forme d’ailleurs le répertoire, doublement précieux, de tout ce que l’Europe a compté de célèbre, pendant plus de cinquante ans, par la naissance, le rang, la victoire, la beauté : on ne manquera pas, en feuilletant cet album des gloires de l’Empire, d’être amené à consulter le texte qui l’accompagne ; ou commencera par curiosité, et on finira par plaisir.

Isabey, en effet, est au plus haut degré un peintre « représentatif. » De ses émules ou de ses rivaux, Guérin ou Sicardi, Augustin ou Laurent, pour ne nommer ici que des miniaturistes, lequel supporterait le poids d’une telle étude ? Il y a plus : parmi les « grands peintres » du temps, et dans les genres « supérieurs, » combien, excepte un ou deux, David et le baron Gérard, et peut-être Prud’hon, pourraient être traités avec le même détail, sans nous faire périr d’ennui ? Et si nous partagions le préjugé commun à l’égard d’un aquarelliste, réservant notre admiration pour la peinture à l’huile, c’est David qui nous le dirait, et cela justement à propos d’Isabey : « A l’huile ou au vinaigre, c’est de la rudement bonne peinture ! » Mais la question n’est pas là ; et dans la singulière fortune de Jean-Baptiste Isabey les