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et sa brutalité. Quand Taine, étudiant les systèmes électoraux, écrivait : « Par l’équilibre approximatif des charges légales et des droits légaux, les deux plateaux de la balance reprennent à peu près leur niveau : c’est ce niveau que réclame la justice distributive, » il énonçait une opinion, fondée en raison, mais que le peuple électeur n’acceptera jamais. Tout ce qui corrige la loi du nombre, en proportionnant les droits de chacun à sa contribution ou à sa capacité, répugne à ce sens niveleur de l’égalité qui anime les démocraties. Voyez ce qui s’est passé en Belgique. La réforme de 1895 n’a pas satisfait ceux qui la réclamaient et n’est défendue aujourd’hui que par ceux qui l’ont autrefois combattue. En vain l’a-t-on complétée, dans le sens d’une égalité plus grande par l’établissement, en 1899, de la représentation, proportionnelle. En vain a-t-on pu constater, par l’évolution même des partis dans la Chambre, que toutes les opinions peuvent être représentées et que nul cadre politique n’est immuable. Les socialistes persistent à réclamer le suffrage universel pur et simple, et ne se contentent pas des résultats acquis, — surtout aux dépens des libéraux. Ils veulent que le nombre règne et fonde leur propre règne. Dans leur marche en avant, ils regardent au loin, jamais en arrière.

C’est là pour les catholiques au pouvoir un péril dont ils ne comprendront que peu à peu la menaçante gravité : ce péril est un péril de dissociation. Le socialisme devient un pôle d’attraction, et cette attraction s’exerce sur nombre de catholiques. Dans tout parti qui gouverne il y a des mécontens, qui, ne se jugeant pas récompensés selon leurs mérites, justifient leur mauvaise humeur par les divergences doctrinales qu’elle leur suggère. De plus, dans un parti nombreux, — et en raison même de son étendue, — il y a place pour des courans variés, toujours les mêmes, quels que soient le lieu et le temps. Les uns estiment qu’il convient de désarmer par des concessions les oppositions et de leur enlever leur raison d’être en leur prenant leur programme. Les autres sont pour la résistance intransigeante et ne veulent rien céder de leurs principes. Les seconds réagissent d’ailleurs sur les premiers par cette intransigeance même. C’est ainsi qu’après quelques années de gouvernement catholique, se forme en Belgique, autour des abbés Pottier et Daens, le groupe des démocrates chrétiens, élargi bientôt, jusqu’à devenir « la jeune droite. » Qui dira, dans ces formations nouvelles, la part