Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/696

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

civique, les périls de l’action directe. Il incline donc à l’action parlementaire. Mais, pour cela, il faut être représenté, et il est impossible de l’être, aussi longtemps que la loi électorale censitaire ne sera pas modifiée. La revision de la Constitution devient ainsi, par la force des choses, le premier article du programme socialiste, et c’est sur le terrain politique que le nouveau parti livre sa première bataille, bénéficiant habilement de l’appui des libéraux avancés qui seront les premiers pourtant à pâtir de son succès.

Dès lors la question constitutionnelle passe au premier plan. La loi électorale, avec, pour base, un cens de 42 fr. 32, n’accordait le droit de suffrage qu’à 135 000 électeurs sur 6 millions d’habitans. Ce n’était certes pas un régime en harmonie avec les idées du moment, ni même avec les anciennes traditions des cités belges. Mais c’était un régime qu’acceptaient en somme la droite et la gauche, parce qu’à l’une et à l’autre il avait tour à tour donné la majorité. Si certains élémens de gauche étaient acquis à la réforme, d’autres ne la désiraient point. Quant aux catholiques, ils avaient lieu d’être attachés à un régime qui leur avait valu le pouvoir. Toutefois, n’était-il pas imprudent de laisser aux libéraux, avec l’honneur de réclamer la réforme, la possibilité de la faire contre la droite ? Nous sommes en 1892 et c’est ainsi que le problème se pose. Les catholiques ont 26 voix de majorité. Ce ne sont pas les deux tiers requis pour une revision constitutionnelle. Ils peuvent donc repousser les projets des autres, mais non pas imposer les leurs. C’est la stagnation dans l’impuissance et cette situation se prolongerait si la rue ne s’en mêlait pas. À tort ou à raison, le peuple s’en prend au Roi. Celui-ci, qui a d’ailleurs en tête d’autres projets, ne veut point encourir pour une question qu’il juge secondaire une dangereuse impopularité. Il presse donc le gouvernement d’aboutir, et on aboutit à une transaction. Cette transaction, c’est le vote plural, c’est-à-dire le suffrage universel rectifié, — rectifié par l’attribution de voix supplémentaires aux pères de famille, aux propriétaires, aux rentiers, aux déposans des caisses d’épargne (au-dessus d’un certain taux), aux titulaires de certains diplômes et de certaines fonctions, personne ne pouvant cumuler plus de trois voix.

Celle loi, qui n’accorde à la campagne socialiste qu’un demi-succès, ne résout pas la question électorale. En effet, ce que les masses apprécient dans le suffrage universel, c’est sa simplicité