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gique ; des temps peuvent venir où elle regrettera de ne l’avoir pas reconnu… On peut nous donner autant de réformes qu’on voudra : ce que nous exigeons, ce sont des résultats, » — alors, dans le terne dialogue des Livres blancs et gris, on sent se jouer à Bruxelles une partie décisive où rien n’est laissé au hasard. Cette partie se poursuit cependant jusqu’à son terme : l’annexion. Et, malgré les craintes éveillées, malgré les concessions acceptées, Léopold II fait prévaloir le point de vue « qu’aucune puissance étrangère n’a le droit de s’ingérer dans l’administration intérieure de l’État indépendant. » C’est que, dans le débat diplomatique, il porte les mêmes vertus d’esprit que dans la construction coloniale : le sens juste des difficultés, l’appréciation positive des forces réelles, l’intuition pénétrante des solutions possibles.


En politique intérieure, les partis sont l’instrument de l’action royale. La Constitution le veut ainsi, et leur intermédiaire peut d’ailleurs être commode. Au début du règne, deux groupemens sont en présence, nés avec la Belgique même et qui ont grandi avec elle, les libéraux, les catholiques.

Le parti libéral belge date moralement du mouvement politique d’où sortirent les révolutions de 1830. Mais, en subissant, avec l’action de l’époque, celle du milieu, il a pris une physionomie propre. Les libéraux ont connu les premiers la charge du gouvernement. Ils ont été, dès le principe, un parti de gouvernement et n’ont eu d’autre raison d’être que celle de gouverner, partant, de centraliser. Ils ont dû, ce faisant, lutter contre les traditions centrifuges d’autonomie locale dans tous les ordres où elles se manifestaient, politique, administratif, religieux. Ils ont défendu et représenté d’abord les droits de l’État, un peu à la façon jacobine. Ils ont estimé, avec Charles Rogier, que « plus on avait donné au pays de libertés, plus il fallait donner de force au pouvoir, non pour restreindre ces libertés, mais pour en modérer et en régulariser l’usage. » C’est un parti d’étatistes bourgeois, et non point de démocrates. C’est aussi un parti d’anticléricaux, moins par conviction philosophique que parce que l’Église belge a lié son sort à celui des libertés locales, soit au point de vue de l’assistance, soit à celui de l’enseignement,