ce qu’il en apprécie, plus que la clarté du ciel et la grâce des lignes, c’est le confort des hôtels et le prix élevé du terrain. Il n’est point fait pour le rêve ni pour l’illusion. Il est même incapable de vanité. À l’Exposition d’Anvers, un organisateur, célébrant les résultats acquis, ajoute-t-il : « Nous les devons aux efforts constans de Votre Majesté. » — « Mais non, répond-il, vous les devez à la hausse du caoutchouc. » Et c’est lui encore, qui, conduit par Guillaume II à une parade militaire éclatante et sonore, lui disait au retour : « Décidément, pour les rois, il n’y a que l’argent qui compte. » Philosophie sommaire et qui manque d’envolée, — philosophie cependant qui a répondu aux capacités et aux intérêts de la Belgique, faisant d’un petit pays une grande nation commerçante et mondiale.
Que l’action de Léopold II ait été, en effet, décisive, tout le monde en convient, même ses adversaires. Au dedans, cette action n’a pas été bruyante : car il était roi constitutionnel. Mais dès son avènement il a prouvé que l’on peut être à la fois constitutionnel et agissant. Il a agi par l’intermédiaire des partis, mais de façon énergique et soutenue, se plaçant au-dessus d’eux et non pas au-dessous, comme font par indolence les rois fainéans du constitutionnalisme, en contact avec tous, sans engagemens avec personne, sans préférences même, incapable peut-être qu’il était d’en ressentir dans l’intensité de sa passion créatrice. En politique extérieure, c’est-à-dire dans les relations internationales et dans les questions militaires, il a agi directement, imposant sa volonté à une opinion parfois rebelle, rachetant par des coups d’autorité des années de patience féline, créant le Congo, malgré la Belgique et malgré l’Europe, obligeant son peuple à en accepter le don, soumettant les partis à des combinaisons insolites pour assurer le vote des lois sur le recrutement.
Les hommes de cette trempe ne sont pas populaires : car ils vivent seuls moralement. Ce sont des raisonneurs et des sensuels. Leur cerveau ne vibre que pour la sensation, l’observation, la déduction. Leurs idées sont des idées-forces, qui produisent de la volonté et s’expriment en actes. Ils vivent pour agir, et leur plan d’action les prend tout entiers, écartant d’eux les sympathies, les environnant de solitude. La maladie, la mort même, — rappelez-vous le vote in extremis de la loi militaire au