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de sa thèse, il invoque l’histoire et il conclut : « Je sens avec une conviction profonde l’étendue de nos ressources. Je souhaite passionnément que mon beau pays ait la hardiesse nécessaire pour en tirer tout le parti, qu’il est, selon moi, possible d’en tirer. Je crois que le moment est venu de nous étendre au dehors. Je crois qu’il ne faut plus perdre de temps sous peine de voir les meilleures positions, rares déjà, successivement occupées par des nations plus entreprenantes que la nôtre… Bientôt, je l’espère, notre jeune nationalité revendiquera sa part de la mer et fera son premier pas dans la voie de l’expansion… »

Voilà le programme du règne futur. C’est une force pour une dynastie de s’adapter, dans chaque génération, aux nécessités de l’heure. C’est une force plus grande de prévoir ces nécessités. Le duc de Brabant est un précurseur. Précurseur encore sera Léopold II. La Belgique en 1860 écoute avec une déférence inquiète ce long jeune homme épris de voyages, revenant de loin avec de plus lointaines promesses de bénéfices et qui prétend arracher ses sujets de demain à la routine de leurs comptoirs. Le prince s’obstine pourtant et s’obstinera toujours, parce qu’il connaît son pays, parce qu’il le sait, autant que lui-même, actif et âpre au gain. Il est sûr d’avoir raison et que, quand on a raison, le succès n’est qu’une question de temps. Son intelligence juvénile conçoit avec netteté les conditions économiques par où se caractérisera la seconde moitié du XIXe siècle, conditions nullement arbitraires, déterminées elles-mêmes par la transformation des moyens de production et des moyens de transport, par l’intensification de l’outillage et du rendement, par un besoin croissant de matières premières et de débouchés. Il a, dès ce moment, les vues d’avenir d’un grand spéculateur, au coup d’œil intuitif et ferme.

Il est, dès ce moment aussi, le matérialiste éminent et un peu étroit qui, pendant un demi-siècle, gérera la « firme » belge comme une société par actions. Ne lui demandez pas le sens des « impondérables. » Il s’intéresse à l’industrie, au commerce, à la finance. L’art, les lettres, la philosophie n’obtiennent de lui qu’un hommage de convenance. S’il est accessible à la poésie de la vie moderne, c’est la poésie de l’action qui le séduit, l’élargissement infini des possibilités créatrices, l’audace réfléchie de la science, Quarante ans plus tard, vous l’entendrez célébrer la Côte d’Azur, comme « le paradis sur la terre. » Mais