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J’ai tenu à donner tous ces détails, dont quelques-uns, pris à part, sembleront peut-être bien menus. Tous, à mon sens, servent à prouver ce qu’on aurait grand tort de tenir pour un paradoxe, à savoir que la cellule, même longue, en empêchant les contacts des détenus avec les détenus, respecte beaucoup mieux que la prison commune leur individualité et leur sensibilité. Pour le répéter encore une fois, en éliminant les plus grosses difficultés de la discipline, la vie cellulaire fait tomber de part et d’autre les masques de convention ; le condamné peut alors entretenir avec d’honnêtes gens des rapports plus libres, plus aisés, plus pacifians, en un mot, meilleurs que jamais. On a vu les déclarations ou les aveux de Z… J’ajouterai qu’il y a quelque temps on libéra, sur les instances d’un criminaliste français, un des plus vieux prisonniers : il avait plus de vingt-cinq ans de cellule. Il ne connaissait aucun des embellissemens des villes belges : il ne connaissait point, par exemple, les tramways. Ce qui l’attira le plus dès ses premiers pas dans la rue, ce fut un groupe de petits enfans qui jouaient avec la gaieté de leur âge. Il s’arrêta pour les regarder et pleura en les contemplant. Les neuro-pathologistes nous apprennent que la perte du sentiment social est le signe le plus caractéristique de la désagrégation de la sensibilité ou de la psychasthénie. La vie cellulaire bien comprise ne produit, on le voit, ni l’une ni l’autre. Mieux vaut donc y revenir que de s’obstiner dans un système ‘qui, infligeant des condamnations courtes, mais multipliées, et essayant tardivement, mais vainement de se débarrasser des plus grands coupables, ne préserve rien, ne répare rien, ne réprime rien.

Le système de Louvain peut assurément recevoir quelques retouches. Avoir près de six cents prisonniers dans les mêmes murs, c’est trop : le directeur actuel de la célèbre maison, homme plein d’expérience, de bon sens et de bonté, est le premier à le reconnaître. Les libérations conditionnelles pourraient être aussi mesurées d’une main moins avare. Si la France accepte ou plutôt réalise enfin ces idées, avec ensemble et avec suite, elle ne fera que reprendre son propre bien, car ces idées ont été celles de ses meilleurs magistrats et de ses meilleurs criminalistes.


HENRI JOLY.