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perspective d’une prompte réduction de peine, à plus forte raison, s’il avait vu accorder sans cesse autour de lui des réductions prématurées ?

Le détenu dont je viens de parler n’est pas le seul, il s’en faut, à s’élever au-dessus de sa condition première en s’attachant à un travail qui le libère de l’ennui et en y consacrant des aptitudes réservées jadis au désordre. Je cause avec un houilleur devenu peintre après s’être amusé à reproduire lui-même les photographies qu’on lui envoyait. Un cordonnier en fait autant : l’un et l’autre préparent eux-mêmes leurs toiles et leurs couleurs. A côté d’eux est un détenu auquel on a appris la dactylographie : il invente, — ou croit inventer, peu importe, — un procédé nouveau et y ajoute tout un système de sténographie. Tous ces hommes étaient cependant des criminels qui, en France, eussent été condamnés à mort, exécutés peut-être, à tout le moins envoyés à la Guyane. En quoi eussent-ils mieux rendu témoignage de la vigilance et de l’humanité de leurs compatriotes ? En voici un autre qui est entré à Louvain en 1883, à l’âge de vingt-neuf ans, après une longue série de vols, de cambriolages et d’assassinats ; il a été mêlé à plus d’une affaire célèbre de Paris et entre autres à celle qu’on a appelée en son temps l’affaire du Palais-Royal. D’après son dossier, c’est le type consommé du criminel formé dans les bandes et achevé dans les prisons communes. S’il n’était venu se faire prendre en Belgique, il fût resté sans nul doute un de nos repris de justice ou de nos forçats les plus dangereux. Ni son attitude, ni sa physionomie, ni ses paroles ne laissent deviner rien de pareil : les unes et les autres, dois-je le dire ? le font un peu ressembler à un très estimable et très distingué professeur de philosophie de l’une de nos universités. Il est extrêmement convenable à tous égards, doux et poli, sans affectation d’humilité : il n’a absolument rien d’un dégénéré, ni inférieur ni supérieur. Il n’a jamais été malade, et sa résignation, qui est exemplaire, ne lui a pas fait perdre le souvenir de ses affections. Il parle beaucoup de sa fille, âgée aujourd’hui de trente et un ans et qui vit à Paris. Il ne sait pas que quelqu’un vient de me prier de le recommander, lui aussi, pour la libération conditionnelle : mais il me charge de ses respects pour l’ancien directeur auquel, ainsi que bien d’autres, il est resté très attaché.

Tous assurément ne sont pas aussi matés. Quelques-uns, sans ressembler précisément aux orgueilleux irrités dont je