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distinguer la lassitude : il avait un service parfois très dur et on ne lui laissait aucune liberté. Il y avait aussi chez lui la nostalgie de la famille, ce qui serait une bonne note, somme toute. Sous peu son sort sera décidé. Dieu veuille qu’il ne soit pas trop rigoureux : dans ce cas, je ne répondrais de rien. »

Etait-ce là l’effet d’une « série noire » ou de choix malencontreux, d’absence de choix, pour mieux dire ? Eh bien, non ! Car on y avait fait attention de part et d’autre : patrons et enfans étaient plutôt au-dessus de la moyenne. On jugera par-là de ce qui doit être quand on envoie du jour au lendemain des sujets qu’on ne connaît pas dans des familles qu’on ne connaît pas davantage. Qu’on donne de mauvais enfans à de bons maîtres ou de bons enfans à de mauvais patrons, les résultats ne diffèrent guère. Il y aura bien quelques succès qu’on pourra faire valoir. Mais combien s’évadent ! Combien se replacent eux-mêmes au hasard ! Combien se font arrêter de nouveau ! Combien enfin font mine de se résigner, mais en se promettant de secrets dédommagemens et en attendant l’occasion de faire valoir en bloc tous les griefs, les vrais et les faux !

Après mes expériences, je n’ai pas été surpris de voir les résultats d’une enquête scrupuleuse faite par un conseiller municipal de l’une des parties de l’agglomération bruxelloise. On peut se servir de cet exemple bien étudié pour caractériser tout un système, comme on se sert de fouilles pratiquées dans certaines localités pour caractériser toute une période géologique.

Le bureau de bienfaisance d’Ixelles avait pu constater, et il signalait au collège des échevins que, sur 100 placemens opérés directement dans les familles, il en avait été, après vérification, trouvé 7 bons, 60 laissant à désirer, et 33 mauvais. Ces chiffres furent d’abord contestés… de leur fauteuil… par les employés du bureau. Mais deux membres d’un comité dont l’un était un officier, et l’autre un avocat général, se chargèrent de faire une enquête sur place, et voici ce qu’ils déclarèrent : « Notre visite a confirmé pleinement la navrante déclaration du bureau de bienfaisance. Nous avons constaté à de nombreuses reprises que le principe dominant qui devait déterminer le placement de pupilles était le désir d’accorder un secours au nourricier lui-même : c’est ainsi que certaines personnes âgées ou infirmes ne possèdent d’autres ressources que le bénéfice que leur procure la garde d’un ou de plusieurs protégés du bureau de