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Une famille adoptive dont l’adolescent sait si vite qu’elle ne lui est de rien, à laquelle souvent il en veut de prétendre remplacer celle qu’il regrette, peut-elle le préparer à bien user de cette liberté ? Il y a plus d’une raison d’en douter.

Trouver des placemens pour les adolescens auxquels on tient à épargner l’internement ou le maintien dans le milieu qui les a gâtés, il n’y a présentement rien de plus facile. À la campagne, la population diminue par le départ de beaucoup de familles et par la diminution du nombre des enfans chez celles qui restent. Celles-ci ont cependant à cultiver la terre abandonnée par les émigrés. Les aides quelles cherchent au village sont de plus en plus rares et de plus en plus exigeans. On s’adresse donc à l’Assistance publique ou à une société charitable. « Ces enfans-là se paient moins cher… ils sont encore bien heureux d’avoir le vivre et le couvert ; s’ils n’étaient pas chez nous, où seraient-ils ? On ne doit pas se gêner pour les faire travailler. » Tel est le langage du paysan, dont la vertu principale n’est pas précisément la générosité ou le désintéressement. On dit que dans les orphelinats et dans les œuvres les enfans sont exploités. J’ai peur qu’ils ne le soient bien autrement et d’une façon bien plus difficile à surveiller dans ces placemens disséminés.

Je demande pardon de sembler me remettre en scène. Nul n’a désiré ces placemens plus que moi. En un espace de temps assez court, j’en ai personnellement suivi trois : ils ont échoué radicalement. Le premier des trois adolescens s’est enfui avec le premier argent dont il a pu disposer : il est actuellement dans une maison de correction. Le second a essayé de se pendre, et il fût mort, sans un passant qui vint à temps pour le ramener à la vie. Le troisième donna de graves sujets de plainte, non sans en avoir eu lui-même. J’ai pu trouver quelqu’un de bien placé pour tout juger et auquel il ne manque que de voir son intervention mieux agréée, quand il ne s’agit plus uniquement de lui demander ou de faire demander par lui quelque service. Il me répondit à propos de l’un d’eux, le désespéré, ce qu’il aurait pu me dire d’un grand nombre de ses pareils : « Son père, paraît-il, ne peut ni le garder, ni le surveiller ; il aurait besoin d’être dans un milieu où l’on s’occupât de lui, car il me semble avoir de bonnes qualités, être honnête, avoir conservé, malgré tout, quelques habitudes religieuses ; il aurait surtout besoin d’intérêt, d’affection et de pitié. Dans les récits qu’il fait, on peut