Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/646

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

spoliation et de nivellement. On met encore en avant la privation des droits civiques, la déchéance de la puissance paternelle, la destitution, le retrait de l’autorisation d’exercer une fonction ou une industrie privilégiée. Autrefois on qualifiait assez justement ces différentes mesures de « peines accessoires » : on s’est demandé depuis si on ne pouvait pas leur faire prendre la place de la peine principale. Réfléchissons cependant que si on la qualifiait d’accessoire, c’est qu’on la voyait de nature à renforcer simplement la vraie peine, dont elle n’était, dont elle n’est le plus souvent qu’une conséquence inévitable. Dira-t-on qu’on peut la renforcer elle-même davantage, et de manière qu’elle suffise ? Encore faut-il que celui que l’on condamne à l’amende soit en état de la payer ou n’ait pas soustrait aux agens du fisc ce qui pouvait servir de caution contre lui.

Il est très tentant de dire que la justice doit devenir essentiellement restitutive et qu’il suffit de faire travailler le condamné jusqu’à ce que, sur le produit de son travail, il ait indemnisé sa victime. Mais d’abord, il est de ces attentats dont l’argent ne saurait jamais réparer les suites, pour plus d’un motif aisé à deviner, et il serait fâcheux de laisser se propager l’idée qu’ils sont réparables de cette façon. Ne mettons pas à la portée des gens la tentation de se laisser devenir victimes volontaires et d’en faire un commerce avantageux. On ne sait pas jusqu’où peuvent aller en ces matières (séduction apparente, adultère préparé en connivence avec le mari, accidens savamment provoqués ou aggravés) la ruse et l’ingéniosité de ceux qui trafiquent de l’honneur et même de la vie. L’Angleterre a besoin de lutter contre l’abominable pratique des assurances contractées sur la tête d’enfans que leurs parens ne tardent pas à… laisser mourir ; et on raconte que depuis que les Chinois ont des chemins de fer, ils aiment assez à… oublier sur la voie des parens infirmes ou aveugles, afin d’obtenir une indemnité de la Compagnie.

Ces difficultés ne sont pas les seules. Plus le dommage causé aurait été grave, moins il faudrait compter sur l’efficacité de la peine. A quelle restitution sérieuse pouvez-vous amener des hommes sur les faibles gains de qui doivent être prélevés la part légitime de l’Etat, puis le paiement des petits supplémens de nourriture indispensables aux forces d’un travailleur ? Si vous diminuez encore pour le condamné le peu dont il a le droit de disposer, vous êtes obligés de le nourrir moins mal, et dès lors